Avant de devenir professeur d’économie à l’Ecole normale supérieure et à Paris-I, Daniel Cohen a étudié, notamment à Harvard (Etats-Unis), les problèmes de dette dans les pays en développement et les crises financières internationales. M. Cohen, éditorialiste au "Monde", explique la difficulté de résoudre celle qui est actuellement à l’œuvre.
Pourquoi assiste-t-on à une aggravation de la crise financière depuis deux jours ?
La cause immédiate en est le rachat par JPMorgan de la banque d’affaires Bear Stearns quasiment pour un "franc symbolique". Personne n’imaginait que la situation était grave au point que le paralytique doive racheter l’aveugle ! En tout cas, cela met en lumière le fait que la Réserve fédérale américaine [Fed] n’a pas les outils adaptés pour faire face.
La crise s’est installée en trois temps. Premier temps, tout le monde a cru que l’affaire des subprimes américains avait déclenché une crise de liquidité.
Deuxième temps, derrière les notes triple A des agences de notation, on a découvert des actifs vraiment insolvables et des maquillages qui représentent autant d’escroqueries morales et financières. De quelques dizaines de milliards de dollars, les dégâts sont passés à 200 ou 300 milliards de dollars [127 ou 190 milliards d’euros] dans les comptes des établissements ayant acheté ces subprimes. La crise est devenue une crise de solvabilité.
Troisième temps, l’ensemble du marché hypothécaire américain est maintenant touché, car les prêts à risque ne sont plus les seuls concernés.
Sous l’effet de la baisse des taux, les actifs avaient pris de la valeur et généré des plus-values immobilières, déclenchant un phénomène de bulle et de richesse qui poussait la consommation.
Désormais le système américain fonctionne en sens inverse, c’est-à-dire que les ménages constatent que leur dette excède le prix de leur maison ; ils rendent les clés à leur banque et stoppent leurs remboursements. Et le château de cartes s’effondre.
Une aversion au risque s’installe. Les banques ne se font plus confiance entre elles. Le coût du financement se durcit, parce que le crédit devient plus difficile à obtenir et non parce que les taux augmentent. La défiance engendre la défiance et le système financier s’installe dans un cercle vicieux.
Pourquoi les banques centrales ne sont-elles pas parvenues à l’éviter ?
Dans la phase un de la crise, elles ont injecté des liquidités. Dans la phase deux, la Fed a baissé ses taux, ce qui permet une recapitalisation des établissements, mais trop lente.
Voici que, comme lors de la crise de 1929, la Fed ressort des instruments non bancaires et s’autorise même à prendre en pension des actifs risqués ! En fait, la bonne solution consisterait à faire ce que l’on a fait en France avec le Crédit lyonnais. On a séparé le bon grain de l’ivraie, les vrais actifs des insolvables, avant de recapitaliser.
Mais il est inconcevable de recapitaliser la totalité du système financier malade : cela nécessiterait des sommes considérables.
Quelle thérapeutique serait efficace ?
Restaurer la solvabilité des ménages est inadapté et les banques centrales font la preuve qu’elles n’ont pas les moyens de traiter le problème. Il faut donc faire sauter les barrières intellectuelles.
Le G7 doit s’interroger pour savoir s’il faut laisser mourir les banques ou les sauver, si c’est à la puissance publique de recapitaliser les banques et comment. Il faut que le G7 ait le culot de créer un fond public de réserve pour se porter au secours des établissements en difficulté.
Sinon, il faudra reconnaître que les seuls sauveurs possibles sont les fonds souverains et qu’on est passé à une nouvelle étape de la mondialisation qui ne concerne plus la libéralisation du textile par exemple, mais la libéralisation des liquidités. S’interdire de réfléchir à ces solutions atypiques conduirait à laisser la crise s’aggraver, car le système ne pourra s’en tirer seul.
A quelles réformes les banques doivent-elles s’astreindre pour éviter la répétition de cette crise ?
On savait depuis la crise de 1929 qu’il n’était pas une bonne chose que les banques d’affaires soient mariées avec les banques de dépôt. Les aléas des investissements à risque peuvent polluer les prêts aux entreprises et aux particuliers. N’est-il pas paradoxal de vivre aujourd’hui une crise financière, alors que l’économie réelle mondiale est en bonne santé ? Il faut donc sauver le système financier contre lui-même et revenir à une séparation entre banques d’affaires et banques de dépôt.
La possible baisse des taux de la Fed vous semble-t-elle inutile ?
Elle laisse entière la menace de stagflation qui pèse sur l’économie américaine. Car l’inflation par les cours des matières premières semble devoir se poursuivre, alors que le refroidissement est à l’œuvre.
Normalement, le ralentissement de l’économie des Etats-Unis devrait faire baisser ces produits de base. Si tel n’était pas le cas, cela prouverait que la banque centrale a perdu sa crédibilité auprès des marchés, et ce serait vraiment très, très grave pour tour le monde.
Propos recueillis par Alain Faujas
Source : http://www.lemonde.fr
Pourquoi assiste-t-on à une aggravation de la crise financière depuis deux jours ?
La cause immédiate en est le rachat par JPMorgan de la banque d’affaires Bear Stearns quasiment pour un "franc symbolique". Personne n’imaginait que la situation était grave au point que le paralytique doive racheter l’aveugle ! En tout cas, cela met en lumière le fait que la Réserve fédérale américaine [Fed] n’a pas les outils adaptés pour faire face.
La crise s’est installée en trois temps. Premier temps, tout le monde a cru que l’affaire des subprimes américains avait déclenché une crise de liquidité.
Deuxième temps, derrière les notes triple A des agences de notation, on a découvert des actifs vraiment insolvables et des maquillages qui représentent autant d’escroqueries morales et financières. De quelques dizaines de milliards de dollars, les dégâts sont passés à 200 ou 300 milliards de dollars [127 ou 190 milliards d’euros] dans les comptes des établissements ayant acheté ces subprimes. La crise est devenue une crise de solvabilité.
Troisième temps, l’ensemble du marché hypothécaire américain est maintenant touché, car les prêts à risque ne sont plus les seuls concernés.
Sous l’effet de la baisse des taux, les actifs avaient pris de la valeur et généré des plus-values immobilières, déclenchant un phénomène de bulle et de richesse qui poussait la consommation.
Désormais le système américain fonctionne en sens inverse, c’est-à-dire que les ménages constatent que leur dette excède le prix de leur maison ; ils rendent les clés à leur banque et stoppent leurs remboursements. Et le château de cartes s’effondre.
Une aversion au risque s’installe. Les banques ne se font plus confiance entre elles. Le coût du financement se durcit, parce que le crédit devient plus difficile à obtenir et non parce que les taux augmentent. La défiance engendre la défiance et le système financier s’installe dans un cercle vicieux.
Pourquoi les banques centrales ne sont-elles pas parvenues à l’éviter ?
Dans la phase un de la crise, elles ont injecté des liquidités. Dans la phase deux, la Fed a baissé ses taux, ce qui permet une recapitalisation des établissements, mais trop lente.
Voici que, comme lors de la crise de 1929, la Fed ressort des instruments non bancaires et s’autorise même à prendre en pension des actifs risqués ! En fait, la bonne solution consisterait à faire ce que l’on a fait en France avec le Crédit lyonnais. On a séparé le bon grain de l’ivraie, les vrais actifs des insolvables, avant de recapitaliser.
Mais il est inconcevable de recapitaliser la totalité du système financier malade : cela nécessiterait des sommes considérables.
Quelle thérapeutique serait efficace ?
Restaurer la solvabilité des ménages est inadapté et les banques centrales font la preuve qu’elles n’ont pas les moyens de traiter le problème. Il faut donc faire sauter les barrières intellectuelles.
Le G7 doit s’interroger pour savoir s’il faut laisser mourir les banques ou les sauver, si c’est à la puissance publique de recapitaliser les banques et comment. Il faut que le G7 ait le culot de créer un fond public de réserve pour se porter au secours des établissements en difficulté.
Sinon, il faudra reconnaître que les seuls sauveurs possibles sont les fonds souverains et qu’on est passé à une nouvelle étape de la mondialisation qui ne concerne plus la libéralisation du textile par exemple, mais la libéralisation des liquidités. S’interdire de réfléchir à ces solutions atypiques conduirait à laisser la crise s’aggraver, car le système ne pourra s’en tirer seul.
A quelles réformes les banques doivent-elles s’astreindre pour éviter la répétition de cette crise ?
On savait depuis la crise de 1929 qu’il n’était pas une bonne chose que les banques d’affaires soient mariées avec les banques de dépôt. Les aléas des investissements à risque peuvent polluer les prêts aux entreprises et aux particuliers. N’est-il pas paradoxal de vivre aujourd’hui une crise financière, alors que l’économie réelle mondiale est en bonne santé ? Il faut donc sauver le système financier contre lui-même et revenir à une séparation entre banques d’affaires et banques de dépôt.
La possible baisse des taux de la Fed vous semble-t-elle inutile ?
Elle laisse entière la menace de stagflation qui pèse sur l’économie américaine. Car l’inflation par les cours des matières premières semble devoir se poursuivre, alors que le refroidissement est à l’œuvre.
Normalement, le ralentissement de l’économie des Etats-Unis devrait faire baisser ces produits de base. Si tel n’était pas le cas, cela prouverait que la banque centrale a perdu sa crédibilité auprès des marchés, et ce serait vraiment très, très grave pour tour le monde.
Propos recueillis par Alain Faujas
Source : http://www.lemonde.fr