Le bouillonnement syrien se nourrit d’effets innombrables, caractérisés par leur violence, leur éclat, leur bruits innombrables, mais rarement par leur précision. La semaine dernière, voire les deux semaines dernières, furent caractéristiques à cet égard, dans le sens où il nous parut qu’une chatte, même habile et avisée, n’y retrouverait jamais ses petits…
Le bruit enfla que les rebelles étaient lancés dans une chevauchée victorieuse, que Assad vacillait. Certes, ce n’était pas la première fois mais on aurait pu croire que c’était la bonne. Le bloc BAO [1] exultait, bien entendu… Enfin, tout s’apaisa et tout retomba comme un soufflé. Que s’était-il passé ?
Voici un article d’une des sources qu’il nous arrive d’apprécier, le quotidien indépendant de gauche libanais As-Safir, traduit d’arabe en anglais (voir le 14 décembre 2012 pour l’édition originale.) Il nous restitue, sous la plume de Nader Ezeddine, un récit précis et remarquablement circonstancié de ce qui se serait passé, qui est naturellement l’inverse de ce qui nous fut annoncé avec tant de battage. En un mot : le chevauchée des rebelles sur Damas serait l’effet d’un piège où les rebelles auraient donné tête baissée.
Il s’agit là d’une des premières occurrences où un mouvement militaire tactique de grande ampleur est décrit en détails et d’une façon cohérente, dans le conflit syrien jusqu’ici caractérisé par la confusion et par l’interférence massive de la communication et des déformations qui l’accompagnent. Il faut noter que cette version des faits est largement corroborée par Patrick Cockburn, de The Independent, du 16 décembre 2012. (L’article d’as Safir cite un autre article de The Independent, de Cockburn également, du 9 décembre 2012, également dans ce sens.)
(On mettra en évidence, en le détachant du reste de l’article et sans autres commentaires de notre part, dans l’inconnaissance où nous sommes d’un tel accord si c’est le cas, les quelques lignes de la fin de l’article, qui semblent indiquer effectivement qu’un accord existe entre les USA et la Russie sur le règlement de la crise syrienne à la fin janvier 2013, selon les termes de la conférence de Genève du 30 juin dernier [voir le 3 juillet 2012] : « En ce qui concerne les jours à venir, les sources indiquent que les États-Unis auraient accordé aux rebelles de l’opposition un délai d’un mois pour lancer une troisième série d’attaques contre Damas, dans le but dans l’attente d’importants gains sur le champ de bataille, ce qui contribuerait à renforcer les conditions de l’installation russo-américaine. L’installation devrait avoir lieu d’ici fin Janvier, sur la base de l’accord conclu à Genève [2]. »
On observera que ces remarques sont en corrélation avec ce qu’il avait été dit dans un précédent article de As-Safir, de la rencontre récente entre Clinton et Lavrov à Dublin [voir le 11 décembre 2012].)
dedefensa.org
L’armée syrienne a peut-être tendu un piège aux rebelles à Damas
Traduction E&R
Depuis le début de la seconde série de « l’opération invasion de Damas », les informations de terrain se contredisent. D’un coté, les informations déclarent que les rebelles armés se sont emparés des postes clés de la capitale syrienne, et de l’autre, les rapports indiquent que l’armée syrienne a mis en place une embuscade contre les rebelles, infligeant de lourds dégâts dans les rangs de l’opposition.
Plus de deux semaines après le début des affrontements dans le gouvernorat de Rif Dimashq, les zones d’ombres entourant « l’invasion » rebelle ont commencé à s’éclaircir. Apparemment, l’opposition armée – plus particulièrement le Front al-Nosra – a subi de sérieuses pertes.
D’après les informations obtenues par As-Safir à partir de sources bien informées, le régime syrien connaissait depuis des semaines le plan des rebelles consistant à prendre d’assaut la capitale, impliquant des milliers de combattants de toutes nationalités. Le plan a été conçu pour prendre le contrôle des villes de Harasta et Douma, qui serviraient de rampe de lancement pour attaquer Damas. Les rebelles cherchaient à prendre le contrôle de la ville de Jaramana après une série d’attentats visant ses quartiers et périphéries, de sorte à provoquer le déplacement de ses habitants.
Néanmoins, sur les conseils d’un service de renseignements – un allié du régime syrien – et en coordination avec l’armée syrienne, un plan d’anticipation a été mis en place pour contrer l’attaque qui était supposée avoir lieu le matin du premier samedi de décembre. L’objectif principal de ce plan était d’attirer les militants dans une première bataille, disperser leurs rangs, puis de les frapper d’un coup fatal. L’hebdomadaire russe Argumenti Nedeli a récemment révélé que « l’armée syrienne a réussi à lancer la première attaque contre les insurgés, en dispersant leurs rangs avec l’aide des services de renseignements russes, ce qui a donné au régime quelques idées quant à la manière dont il fallait traiter une frappe proactive ».
Quelques jours plus tôt, le régime syrien a mené une manœuvre tactique sur les conseils des services de renseignements alliés, selon le scénario suivant : les armes stratégiques ont été enlevées de leurs caches, donnant l’illusion qu’elles étaient transportées vers un lieu plus sûr.
Pendant ce temps, les satellites étrangers, ceux des États-Unis plus précisément, ont enregistré les activités de l’armée syrienne. Cela a suscité des craintes au sein de la communauté internationale sur le fait que les forces syriennes pouvaient utiliser des armes spéciales, tandis que des fuites dans les médias ont parlé d’une possible utilisation d’armes chimiques. Les ennemis du régime syrien ont contribué à la promotion de ce scénario, pensant que cela conduirait à une intervention étrangère ou une pression sur le régime pour minimiser ses gains politiques. Cependant, la propagande sur les supposées armes chimiques n’a pas joué en faveur des militants, mais a plutôt nui à leur efficacité au combat.
D’autres sources ont également indiqué que le plan a été conçu pour diffuser des informations trompeuses concernant des défections dans les rangs des forces du régime syrien qui protègent Damas. De plus, il s’est dit que les troupes syriennes étaient complètement à terre. Pour cette raison, les informations ont parlé de chute des principaux centres et bases dans la capitale et de désertions importantes dans les rangs de l’armée.
Tout ceci a poussé les militants à se déplacer à la périphérie de la capitale et de lancer une attaque précoce. Les rumeurs propagées par le régime syrien lui-même a incité les insurgés à attaquer Damas immédiatement. Ce qui a encouragé la théorie de l’effondrement de l’armée syrienne dans la capitale, c’est la rapide progression des rebelles en quelques jours sans n’avoir rencontré aucune véritable résistance, alors que l’armée syrienne avait quitté un certain nombre de ses positions militaires.
La manœuvre a été conçue pour provoquer un clivage entre les groupes militants et leurs lignes d’approvisionnement.
D’après le journal britannique The Independent :
« Le gouvernement syrien a adopté une nouvelle stratégie ces dernières semaines, qui consiste à retirer ses troupes des bases qui sont indéfendables afin de les concentrer à Damas et dans d’autres villes, qu’il juge stratégiquement cruciales. Ce recul permit à l’armée de lancer une contre-offensive réussie la semaine dernière, la soulageant de la pression militaire pesant sur la capitale et améliorant sa position de négociation. Le journal a également cité une source à Damas déclarant que “le gouvernement déclare qu’il a fait le choix stratégique de ne pas défendre les petits avant-postes” ».
En outre, d’après certaines sources, les insurgés et leurs partisans pensaient que la chute du régime était possible. Ainsi, ils ont lancé leur attaque deux jours avant ce qui était planifié, le jeudi 29 novembre, ce que le régime avait prévu. Au début de l’attaque, tous les moyens de communications sont tombés en panne dans le pays, ce qui était le premier choc pour les groupes armés, lesquels n’ont pas pu s’informer les uns les autres concernant la progression des combats.
Les sources décrivent l’assaut de Damas comme étant le plus grand et le plus grave depuis le début de la crise syrienne. Les groupes armés sont tombés dans le piège tendu par les troupes syriennes, qui ont reçu une formation approfondie en Russie et en Iran sur le lancement des offensives contre des bandes armées. Il faut noter que la Russie et l’Iran disposent d’accords avec la région syrienne portant sur la coopération stratégique et l’échange d’expertise et de sécurité technique.
Des bombardements lourds là où se trouvaient les rebelles ont eu lieu durant la bataille, dispersant leurs rangs sur plusieurs zones. Les troupes syriennes ont lancé des contre-attaques provenant simultanément de l’Est et de l’Ouest, après avoir attiré rebelles dans des zones situées à plus de 40 km de la capitale et à 20 km de leurs lignes d’approvisionnements. Cela a forcé les groupes rebelles à se diriger vers les villes de Harasta et Douma, juste sous les flammes du régime, ce que le régime avait prévu.
Des affrontements ont également fait rage sur le front de Ghouta, dans la partie orientale de Damas. Les forces rebelles ont été anéanties à la périphérie de l’aéroport avant même qu’elles rentrent en action, en particulier dans les villes de Haran al-Awamid, al-Delba, Sakka, Deir al-Asafir, Al-Maliha, Babila, Damir, al-Hujaira et Khan el-Cheikh.
Les combats ont cessé dans la ville de Daraya, où des centaines de militants ont été tués, dont certains n’étaient pas Syriens. Selon certaines sources, le nombre de morts dans les rangs des groupes armés est beaucoup plus élevé que ce qui a été rapporté par les médias. [...]
Nader Ezeddine (As-Safir)