Démontez la désinformation de Courrier International [1] et la « chargée de l’Amérique latine », Sabine Grandadam, vous répondra qu’il n’y a pas de désinformation puisque ses sources sont « pluralistes ». Tout comme Thomas Cluzel (France Culture), auteur d’un record de mensonges en cinq minutes [2] : « Je ne fais qu’une revue de presse internationale. » Tout le monde sait pourtant que l’information est passée sous le contrôle de grands groupes privés et que sous l’apparente « diversité » il y a peu de chances de trouver une dissonance avec la doxa. Ainsi, l’internationale médiatique fait campagne contre des États souverains comme l’Équateur, le Venezuela ou l’Argentine parce qu’ils font ce que toute démocratie doit faire : équilibrer la propriété des médias, desserrer l’étau du monopole privé en permettant aux secteurs public et associatif d’exister à parts égales [3]. Une évidence difficile à comprendre pour Cluzel ou Grandadam puisque leur survie dépend sans doute du fait qu’ils ne la « comprennent » pas.
Pour nous parler du récent Sommet des Amériques en tout « pluralisme » [4], Courrier International a choisi cinq sources :
1 – El Nuevo Herald (États-Unis, droite souvent extrême, en pointe contre la gauche latino, propriété de la McClatchy Company, groupe propriétaire de 31 autres publications)
2 – El Universal (Venezuela, droite, propriété de l’entreprise privée espagnole Torreangulo Arte Gráfico et de Industrias Gráficas Bohe).
3 – El País (Espagne, autre fer de lance des campagnes contre la gauche latino, propriété du groupe PRISA. Impliqué dans le coup d’État d’avril 2002 contre le président Chavez [5], ce groupe est actionnaire à 12% du Monde et propriétaire de dizaines de télévisions, radios, revues, journaux dans 22 pays d’Amérique Latine et d’Europe).
4 – Daniel Lansberg-Rodriguez, politologue étasunien connu pour sa critique du « totalitarisme constitutionnel » de la gauche latino-américaine.
5 – Foreign Policy (États-Unis, droite, propriété de Graham Holdings Company, conglomérat propriétaire de The Washington Post, Newsweek, Slate, Graham Media Group, chaînes de télévisions, entreprises privées de santé, etc.)
Aucun média de gauche. Aucun média public. Aucun média associatif. Aucun gouvernement progressiste. Aucun des mouvements sociaux organisateurs du Sommet des Peuples qui ont travaillé parallèlement au Sommet des chefs d’État, sur des thèmes aussi anodins que la lutte pour l’emploi, le travail et un salaire digne, la sécurité sociale, les retraites, les négociations collectives, la syndicalisation, le droit de grève, la santé au travail, les droits économiques et sociaux, le respect des migrants et des afro-descendants, l’éradication du travail des enfants et de l’esclavage, l’égalité de genre, et dont les porte-paroles étaient pourtant accessibles à tout instant.
Le “pluralisme” de Courrier International sur ce Sommet des Amériques, ce sont les médias conservateurs, privés, de préférence étasuniens.
L’article qui en résulte [6], c’est un peu le « plan média » de Washington : il fallait tout miser sur la photo de la poignée de main Obama-Castro pour redonner un look actif à la fin de mandat plutôt frustrante de l’occupant de la Maison Blanche. En réalité, ce n‘est pas grâce à Barack Obama que Cuba était présent pour la première fois depuis 1962 à un sommet de l’OEA mais à la pression constante, unitaire, des gouvernements latino-américains. Dans son intervention, Cristina Fernández a rappelé : « Cuba est aujourd’hui parmi nous parce qu’il a lutté pendant 60 ans avec une dignité sans précédent. » Obama, lui, n’avait rien apporté de neuf : dans les « mois qui viennent » il devrait en principe étudier la levée de l’embargo toujours en vigueur et fermer Guantanamo, base militaire et centre de tortures installée sur le territoire cubain.
Face au rejet unitaire par la CELAC, l’UNASUR, l’ALBA, PetroCaribe, le Groupe des 77 + la Chine et le Mouvement des Non-Alignés du décret traitant le Venezuela de « menace pour la sécurité des États-Unis », Obama avait tenté in extremis de limiter les dégâts en divisant les Latino-américains. La veille du Sommet, il découvrait que tout compte fait, « le Venezuela n’est pas une menace ». Mais les Latino-américains pensent aussi. Pendant le Sommet, Barack Obama a dû écouter la dénonciation unanime de la violation du droit international que représente son décret. Il finira par abandonner l’assemblée plénière avant que Cristina Fernández n’intervienne :
« La première chose que j’ai faite en apprenant l’existence de ce décret, ce fut de rire. Une menace ? C’est incroyable. C’est ridicule. Le général Perón disait qu’on revient de partout, sauf du ridicule. »
Dès l’extinction des feux médiatiques, la sous-secrétaire d’État Roberta Jacobson a rappelé que Washington ne reviendra pas sur le décret contre le Venezuela. Démentant les propos d’Obama sur la fin des ingérences, le Pentagone renforce sa présence en Colombie, au Honduras et au Pérou, déploie la IVème flotte, multiplie les opérations secrètes et l’espionnage des télécommunications.
Mais puisqu’il faut à tout prix « sauver le soldat Obama », Courrier International martèle la vulgate : les militaires et civils arrêtés au Venezuela parce qu’ils préparaient un coup d’État l’ont été pour leurs « opinions ». Nul doute que si Salvador Allende et d’autres présidents élus démocratiquement avaient réussi à empêcher les coups d’État planifiés par Washington en faisant arrêter les Pinochet et consorts, Courrier International aurait lancé une campagne pour la libération de ces « prisonniers politiques » [7].
Bref, oublions cet hebdomadaire qui n’a de valeur que comme témoin d’une nord-américanisation médiatique en France, et revenons au réel latino-américain, plus que copieux.
Un mouvement irréversible
Le véritable événement du Sommet des Amériques 2015, ce n’est bien sûr pas une photo, fût-elle celle d’Obama-et-Castro. C’est l’irréversibilité du mouvement de fond entamé en 2001 sous l’impulsion de Chavez, Kirchner et Lula, lorsque fut enterré le Traité de libre commerce que voulaient imposer les États-Unis, le Mexique et le Canada. « Qu’il est loin ce décembre 1994, note la journaliste argentine Telma Luzzani, quand Bill Clinton annonçait que les pays du continent américain devraient tous faire partie de l’ALCA, un seul marché sans barrières ! [8] »
21 ans plus tard, une CELAC indépendante remplace une OEA sous influence de Washington ; l’UNASUR demande aux États-Unis de retirer leurs bases militaires [9] ; l’Amérique latine signe d’importants accords de coopération avec la Chine et les BRICS ; la Banque du Sud est sur le point d’être inaugurée. Pour le politologue argentin Juan Manuel Karg, le fait que les États-Unis et le Canada refusent de signer le document approuvé à l’unanimité par les 33 chanceliers d’Amérique latine et des Caraïbes souligne cette distance croissante entre Nord isolé et Sud unifié de l’Amérique [10].