Le 29 mars 2014, le président de la République promulguait la loi Florange ou « loi de reconquête de l’économie réelle », qui visait à protéger l’industrie française.
Son article 5 prévoyait le doublement des droits de vote aux assemblées générales pour les actionnaires détenteurs de titre d’une entreprise depuis plus de deux ans. Cette disposition, destinée à favoriser l’investissement à long terme, est d’application sauf si l’assemblée générale adopte une disposition inverse dans ses statuts.
Détenteur de Renault à hauteur de 15 %, l’État a vu le coup venir. Pour empêcher Carlos Ghosn d’écarter le droit de vote double de l’État lors de l’assemblée générale du 30 avril, Bercy a dépensé 1 milliard d’euros pour porter sa participation à près de 20 % du capital de Renault et pouvoir ainsi bloquer la résolution anti-Florange présentée par le conseil d’administration. La manœuvre a réussi, et elle a provoqué une flambée du titre Renault qui s’échangeait autour de 60 euros cet hiver contre près de 90 euros aujourd’hui.
Pendant un mois, Carlos Ghosn a (sans succès) mené la guerre contre l’un de ses actionnaires, et même contre son principal actionnaire : l’État. Il est assez curieux de voir un exécutif entrer en conflit ouvert contre ses propriétaires. Dans un fonctionnement normal (d’entreprise), ce genre d’attitude vaudrait au dirigeant un limogeage immédiat. Lorsque l’actionnaire s’appelle l’État, il en va autrement…
L’Etat se méfie des ambitions internationales de Carlos Ghosn, et il a probablement raison. Sur plus de 8 millions de véhicules vendus en 2014 par le groupe Renault-Nissan, Renault en fabrique 2,6 millions, et Nissan 5,1. Le solde est apporté par Avtovaz, l’industriel russe en cours d’acquisition. Renault (Dacia compris) représente désormais moins du tiers du groupe…
Comme l’a justement souligné la section CGT de Renault, la gestion Ghosn est au coeur de la problématique. En 10 ans de présidence Ghosn, Renault a perdu 1 million de ventes en Europe. Le développement du groupe s’est fait au bénéfice des marques Dacia et Nissan.
Autrement dit, Carlos Ghosn a massivement désindustrialisé le pays, quand des groupes comme Volkswagen, qui connaît également une crise de profitabilité et de succession, ont fait le choix « patriote » de préserver leur pays d’origine avec une internationalisation raisonnée. Cette stratégie n’a pas empêché Volkswagen de produire près de 10 millions de véhicules en 2014, soit 25 % de plus que Renault…
Pourquoi l’État dépense-t-il des sommes colossales pour contourner Carlos Ghosn au lieu de le remplacer par un capitaine d’industrie qui mettra en œuvre une autre stratégie ?
Peut-être parce que l’État, en dehors du libre jeu de la désindustrialisation, n’a pas de stratégie, mais qu’il veut garder le pouvoir…