Shimon Peres, ancien président d’Israël âgé de 93 ans, a subi un “accident vasculaire cérébral” massif il y a quelques jours, et reste hospitalisé dans un état très sérieux. On doit donc vraisemblablement s’attendre à apprendre son décès dans un avenir proche, et le moment est opportun pour dresser le bilan de l’existence de cette figure importante de l’époque qui va depuis la proclamation de l’indépendance d’Israël jusqu’à nos jours. Aucun autre politicien israélien, sans doute, n’a connu une telle longévité historique.
Lorsque la mort de Peres viendra, tout Israël [1] portera le deuil d’un des « pères fondateurs » de l’État. Quelqu’un qui a été, sans interruption, à son service pendant sept décennies. Le concert de louanges sera assourdissant. Les télévisions ne manqueront pas de diffuser des documents où on le voit aux côtés de son mentor en politique, David Ben Gourion, et on détaillera les exploits du grand homme.
Mais, comme c’est souvent le cas, la vérité est ailleurs. Peres a commencé sa carrière comme garçon de course de Ben Gourion. Il était appliqué et inventif. Ce que voulait son patron, il trouvait toujours le moyen de le réaliser. Finalement il devint son « fixeur » en chef, celui à qui il faisait confiance pour régler toutes sortes de problèmes. C’est ainsi que la tâche écrasante de procurer l’arme nucléaire à Israël lui échut. Ce n’était pas une mince affaire, et cela requérait une immense persévérance, de la détermination, de l’inventivité, et même une propension affirmée pour le vol. Peres était plus qu’à la hauteur de cette tâche.
Pratiquement dès la première minute après la fondation de l’État d’Israël, Ben Gourion aspirait à le doter de l’arme nucléaire, qu’il voyait comme un instrument du Jugement Dernier, l’as qu’il pourrait brandir si toutes les cartes se dressaient contre lui. Alors que la position stratégique d’Israël était plutôt solide, Ben Gourion ne se lassait pas d’affirmer le contraire. On a souvent raconté l’épisode où, contemplant une carte du Moyen-Orient épinglée au mut de son bureau, il s’exclama à l’intention de ceux qui l’entouraient qu’il« n’avait pas fermé l’œil de la nuit à cause de cette carte ». Car, dit-il, « qu’est-ce qu’Israël ? Une simple petite tache. Comment pourrait-il survivre au milieu de l’immensité du monde arabe ? ».
Shimon Peres en 1968 : « Nous ne pensons pas qu’Israël doive introduire l’arme atomique au Moyen-Orient »
Dans son fort peu critique ouvrage Israël, an 20, paru juste après la « guerre des six jours » de juin 1967 (Marabout Université N°144 – p. 288), Claude Renglet publiait une interview de Shimon Peres (orthographié Peress) dans laquelle celui qui a joué un rôle déterminant pour doter Israël de l’arme nucléaire affirmait le contraire :
– Au cas où la paix ne s’instaurerait pas au Moyen-Orient, Israël devrait redoubler de vigilance. Pensez-vous que l’armée israélienne qui devrait se renforcer encore et toujours soit amenée à s’équiper d’engins nucléaires ?
– Israël doit être capable de produire ses propres armes. Nous avons été soumis à un embargo en 1948, en 1956 et en 1967, ceci nous amène à réfléchir, mais nous ne pensons pas qu’Israël doive introduire l’arme atomique au Moyen-Orient.
Et à propos des rapports avec la France :
Israël doit devenir un pays comme la Suède, c’est-à-dire un pays capable de produire toutes ses armes. Quant à l’embargo français, je ne crois pas qu’il se maintienne avec intransigeance. Nous avons une controverse avec la France, mais le divorce n’a pas été prononcé.
C’était, à tout le moins un euphémisme. Pendant que le Général de Gaulle, en termes très choisis, stigmatisait les « ambitions ardentes et conquérantes » nourries par « des Juifs, jusque là dispersés mais qui étaient restés, ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur », d’aucuns dans l’appareil d’État français et dans l’armée française s’employaient à son insu à les favoriser par tous les moyens.
Cela faisait partie intégrante de la stratégie israélienne consistant à se poser en éternelle victime, la partie la plus vulnérable de tout conflit, qui a donc besoin de soutien moral et militaire pour éviter d’être détruit. Et qu’importait que rien de tout cela n’était vrai, mais après la destruction des juifs d’Europe par les nazis le monde ne voulait pas courir le moindre risque qu’une chose pareille puisse se reproduire. C’est ainsi qu’Israël devint après 1948 aux yeux de la majeure partie du monde le « petit David » faisant face au « Goliath arabe ».
Néanmoins, la croyance la plus répandue est que ses armes de destruction massive étaient destinées à protéger Israël d’une destruction imminente s’il devait subir une défaire catastrophique, théorie qui est fausse, qu’on la considère globalement ou en détail. En fait, à aucun moment Israël n’a été confronté à un telle menace. Israël a toujours maintenu une supériorité militaire sur ses ennemis dans chacun des affrontements qui ont émaillé son histoire, de 1948 à 1967 (et par la suite).
- Le Premier ministre David Ben Gourion avec Shimon Peres (en arrière-plan : le ministre de la Défense Moshe Dayan et Teddy Kollek)
Le but réel de Ben Gourion, en cherchant à obtenir l’arme nucléaire, était politique. Il voulait s’assurer qu’Israël ne soit jamais contraint de s’engager dans une négociation qui ne pourrait que lui faire perdre les gains territoriaux obtenus par la force des armes. Il voulait une arme qu’il puisse faire planer au-dessus de la tête de ses ennemis, qui lui garantisse qu’il n’aurait jamais à renoncer à quoi que ce soit qui appartienne – à ses yeux du moins – de plein droit à Israël. Donc, la bombe nucléaire israélienne était l’instrument permettant de rejeter virtuellement toute initiative de paix qui ait pu être proposée depuis 1967.
Les leaders israéliens savaient que jamais les États-Unis ne parieraient sur le fait qu’ils n’utiliseraient pas leurs armes de destruction massive (ADM) s’il le fallait. Dès lors, les présidents des États-Unis successifs avaient déjà une main liée derrière le dos pour négocier. Dans une partie de cartes, lorsqu’un des protagonistes a l’as de pique dans sa poche et que tous les autres le savent, ce n’est plus tellement un jeu, n’est-ce pas ?
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