Dans cette deuxième chronique de la série « Syrie : comment les médias français intoxiquent l’opinion publique », François Belliot montre comment la presse française a donné la parole presque exclusivement à un prêtre italien pour dénoncer le « régime de Bachar », alors même que la totalité des évêques et patriarches chrétiens de Syrie le soutiennent. Il ne s’agit bien sûr que d’un exemple du biais médiatique en Occident, ce prêtre ayant été invité aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe.
Il existe bien des façons de démontrer que la Syrie est victime depuis mars 2011 d’une campagne de propagande intense visant à persuader l’opinion « occidentale » de la nécessité d’armer l’opposition et de renverser Bachar el-Assad, « l’ignoble-dictateur-qui-torture-et-massacre-son-propre-peuple ».
On peut évoquer l’imposture que constitue le prétendu Observatoire syrien des Droits de l’homme (OSDH), on peut rapporter des témoignages qui vont dans le sens inverse de la version officielle, on peut remonter l’histoire et constater que la déstabilisation actuelle de la Syrie depuis l’étranger s’inscrit dans une dynamique très ancienne (Sykes-Picot, 1916) dont la crise actuelle ne constitue que la dernière étape, on peut faire la comparaison avec d’autres campagnes de propagande ayant abouti aux renversements de chefs d’Etat sur la base de fausses preuves (Saddam Husseïn, Mouammar el-Kadhafi), on peut évoquer le jeu d’alliances de la Syrie avec le Hezbollah et l’Iran, qui gêne les velléités expansionnistes d’Israël et s’oppose au plan de remodelage par les États-Unis du « Moyen Orient élargi, on peut souligner les intérêts gaziers et pétroliers dans la région, qui font de la Syrie une proie d’autant plus convoitable que ses ressources d’énergie fossile restent largement à exploiter.
On peut aussi pointer la loupe sur certains personnages mis en avant dans les médias traditionnels. La propagande pour être crédible s’appuie sur des témoins de choix, souvent minoritaires dans le camp qu’ils sont censés représenter. En comparaison, d’autres personnes, souvent plus nombreuses et plus représentatives, sont systématiquement écartées des plateaux, voire diffamées sans qu’elles aient la possibilité de se défendre médiatiquement.
Le cas du père Paolo Dall’Oglio, censé représenter le point de vue des chrétiens de Syrie, omniprésent dans les « grands médias » à l’automne 2012, et de nouveau au mois de mai 2013, à la différence d’autres personnalités bien plus représentatives, permet de démontrer de façon irréfutable que le traitement de la crise syrienne par l’appareil politico médiatique occidental est presque intégralement mensonger et orienté.
L’histoire que je vais raconter commence par une conférence organisée à Paris en septembre dernier.
Une conférence sur la Syrie à la mairie du XXème arrondissement de Paris
Le 25 septembre 2013 était organisée, dans la salle des fêtes de la mairie du XXème arrondissement de Paris, une conférence intitulée « Regards croisés sur la Syrie ». Elle mettait en scène un intervenant unique, le père Paolo Dall’Oglio. Elle était prévue pour durer deux heures, une heure de parole pour le père Paolo suivie d’une heure d’échange avec le public.
Habitué depuis des mois à passer chaque matin devant cette mairie, j’avais forcément remarqué une immense banderole qui en recouvrait la façade, et qui appelait par un biais tendancieux à la fin des massacres en Syrie. Le maire du XXème arrondissement, Frédérique Calandra, avait à l’évidence choisi son camp : celui de l’ « opposition », contre celui du « régime de Bachar el Assad » [1].
Je savais plus ou moins à quoi m’attendre en me rendant à cet événement ; mais c’était tout de même une bonne occasion d’entendre quelqu’un qui avait vécu longtemps en Syrie et qui pouvait donner le point de vue d’un témoin direct confortant la version officielle. Je n’avais jamais entendu parler du père Paolo Dall’Oglio. Son nom m’avait échappé dans le flot d’actualités quotidien sur la Syrie, et les médias indépendants eux-mêmes n’y avaient guère prêté attention. La salle des fêtes de la mairie du XXème était très bien remplie, 300 personnes au jugé. À proprement parler ce n’était pas une conférence, mais un jeu de questions réponses entre un journaliste et le père Paolo. Il ne s’agissait donc pas de « Regards croisés », comme suggéré dans l’intitulé de la conférence, mais du « regard » du père Paolo, qui n’était affligé d’aucun strabisme convergent. Le journaliste étant complètement acquis à la cause du père, il n’y avait pas de contradicteur dans ce « croisement ».
Je commençai à prendre des notes. La salle était mal insonorisée, et le père Paolo, en plus de s’exprimer dans un français parfois incertain, était dur à suivre dans son exposé. Il rendit hommage à la révolution tunisienne et à la révolution égyptienne, plus généralement au printemps arabe, dans lequel s’inscrivait naturellement selon lui la révolution syrienne [2]. Il insista sur la pratique systématique de la torture et l’emprisonnement des opposants par le « régime de Bachar el-Assad ». Il se félicita d’avoir en juin 2011 tiré la sonnette d’alarme : « le régime » était construit exclusivement sur le mensonge, cela faisait partie de son ADN.
À deux reprises il compara ceux qui remettaient en cause la version officielle de la révolution syrienne à ceux qui remettaient en cause la version officielle du génocide des juifs, qu’il assimila ainsi à du négationnisme et à une pathologie de l’esprit.