Le chantage à l’accusation d’antisémitisme est devenu tellement banal et a été utilisé de manière si grossièrement stupide tant et tant de fois et depuis si longtemps par les adorateurs inconditionnels de la politique israélienne (les seuls qu’Israël et son gouvernement supportent plus ou moins bien) qu’on pourrait croire que cette arme éculée tombe en désuétude. Il n’en est rien, hélas.
Le 11 juin 2012, Nathalie Kosciusko-Morizet (dite « NKM ») avait accusé, sur France 2, Jean-Luc Mélenchon d’accueillir « sur son site, des gens qui font profession d’antisémitisme ». Alain Juppé et Jean-François Copé, appartenant comme elle au parti « Les Républicains », avaient dans les jours qui suivirent repris à leur compte (sous des formes un peu différentes) cette accusation. Il s’agissait de la reproduction sur le site de Mélenchon de déclarations du compositeur grec Mikis Theodorakis… concernant l’austérité mortifère imposée à son pays par l’UE.
Mais voilà, Mikis Théodorakis avait été accusé neuf ans plus tôt d’avoir tenu des propos antisémites, et dès lors, qu’importe son passé de résistant à la dictature fasciste dans son pays, qu’importe son œuvre immense, qu’importe qu’il ait été honoré du titre de docteur honoris causa par des universités du monde entier, qu’importe même qu’il ait reçu les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur des mains du ministre français Renaud Donnedieu de Vabres (UMP) en 2007 à l’ambassade de France à Athènes… Mikis Théodorakis est devenu, aux yeux des vertueux NKM, Juppé, Copé et leurs semblables, absolument infréquentable, puisqu’en agitant son nom on peut espérer s’attirer les bonnes grâces de l’électorat juif en France. On ignore jusqu’ici si la malédiction visant Théodorakis sera étendue à ses descendants jusqu’à le neuvième génération ou jusqu’à la douzième. Le CRIF ne s’est pas encore prononcé.
Mélenchon n’est pas du genre à se laisser insulter sans réagir et il avait déposé plainte. En première instance, les trois politiciens de droite avaient été condamnés chacun à une amende de 1.000 euros avec sursis. Ils avaient fait appel.
La cour d’appel de Paris a relaxé mercredi dernier Jean-François Copé, qui avait eu la prudence de tourner ses phrases de manière à salir Mélenchon mais tout en pouvant le nier (il n’avait pas accusé Mélenchon d’être antisémite mais « d’avoir des copains antisémites », nuance !), mais elle a confirmé la condamnation de Nathalie Kosciusko-Morizet et celle d’Alain Juppé.
Jean-Luc Mélenchon avait préféré, à l’époque, nier avoir eu connaissance des déclarations faites par Mikis Theodorakis en 2003. Heureusement, le compositeur grec (âgé de 91 ans aujourd’hui) n’avait besoin de personne pour se défendre, et il avait répliqué dans L’Humanité en juin 2012 (extraits), sans bien entendu parvenir à faire taire complètement ses détracteurs :
« Je suis grec et fier de l’être, car nous sommes le seul peuple en Europe qui, pendant l’occupation allemande (1941-1944), non seulement n’a pas exercé de poursuites contre les juifs mais, au contraire, les a aidés à vivre et à survivre avec tous les moyens dont nous disposions.
À l’époque, j’étais moi-même partisan de l’Armée populaire de libération et je me souviens que nous avions pris sous notre protection de nombreuses familles de juifs grecs, que nous nous sommes souvent battus contre les SS pour les sauver et beaucoup d’entre nous l’ont payé de leur vie.
Plus tard, j’ai composé le cycle Mauthausen que, notamment en Israël, l’on considère quasiment comme un hymne national. J’ai ressenti une des plus grandes émotions de ma vie quand, dans les années 1980, il m’a été accordé de diriger cette œuvre sur le site du camp de concentration de Mauthausen, tout d’abord chantée en grec par sa première interprète, Maria Farantouri, puis en allemand par Gisela May, et en hébreu par la chanteuse israélienne, Elinoar Moav. Je l’ai dirigée une fois encore sur ces lieux et, depuis lors, l’œuvre enregistrée est diffusée sans interruption sur le site du camp. […]
Je suis souvent allé en Israël, en Palestine et au Liban, et c’était chaque fois la paix, l’amitié, la coexistence et la coopération entre ces deux peuples martyrs qui occupaient mes pensées. En tant que Grec, je me sens proche d’eux, comme si nous appartenions à la même famille. Et pourtant, pour certains fanatiques, d’un côté comme de l’autre, je suis la cape rouge agitée devant le taureau. Pourquoi ? Parce que j’ai la franchise et le courage de dire la vérité et de la dire même dans la gueule du loup. Ainsi, quand je suis en Palestine, je m’exprime ouvertement et publiquement contre les fanatiques qui me haïssent et, quand je suis en Israël, je fais de même en critiquant tout aussi ouvertement et publiquement les fanatiques qui, en raison de la diaspora juive présente dans tous les pays du monde, ont la possibilité de transformer leur haine en venin et en mensonges monstrueux. […]
D’ailleurs, la dénonciation du racisme et la défense de ses victimes ont guidé mes décisions et mes actes tout au long de ma vie. Une vie jalonnée de poursuites qui m’ont souvent poussé jusqu’au seuil de la mort.
Donc, me qualifier de raciste et d’antisémite n’est pas une simple calomnie, mais l’expression de la pire bassesse morale, issue le plus souvent de cercles proches d’organisations et d’individus opérant dans la mouvance du néonazisme et auxquels la crise a permis de relever la tête pour nous menacer et – incroyable, mais vrai – nous accuser, eux, d’antisémitisme en utilisant un arsenal de mensonges et de déclarations insidieuses !
Il suffit de dire, par erreur manifeste, dans une interview de trois heures, “antisémite” au lieu d’“antiraciste”, et on s’empare d’une seule et unique phrase dont on isole un mot, brandi comme un étendard, tout simplement pour servir l’intention de m’incriminer. Depuis combien d’années était-on aux aguets pour une simple erreur ? Le mot “antisémite” correspond-il vraiment à ce qui suit ? “J’aime le peuple juif avec lequel nous avons vécu et souffert en Grèce pendant des années et je hais l’antisémitisme.” Je suppose que mes différents ennemis se sont bien gardés de citer ces paroles. Et pourtant, c’est exactement la phrase que j’ai prononcée. Ce n’est pas quelque chose que je viens d’inventer, après-coup, en guise d’alibi. Il en est ainsi, et il est facile de le prouver de façon incontestable en écoutant toute la phrase, exactement comme je l’ai prononcée et non pas en la tronquant comme l’ont voulu mes adversaires. […]
Donc, même si après la lecture de ce qui précède, certains persistent encore à me faire passer pour quelqu’un que je n’ai jamais été et que, bien sûr, je ne suis pas, le doute n’est plus permis. Tout est fait sciemment pour servir d’autres finalités, car ma foi inébranlable dans la paix et la coexistence des deux peuples martyrs, juif et palestinien, en dérange plus d’un. »
Athènes, le 15 juin 2012 (Traduit du grec par Arlette Manoli)