et 
!
Puisque chacun, en ce mois de mai commémoratif, y va de sa petite analyse ou de son petit bilan, il n’y a pas de raison que nous n’y ajoutions pas nous aussi notre grain de sel – ou grain de sable (celui de sous les pavés bien sûr). On fera l’économie des souvenirs de lutte et des nostalgies attendries, la plupart d’entre nous n’étant pas nés, ou alors bien trop jeunes, en l’An 68, pour en savoir autre chose que ce que nous ont appris les livres et les ainés. A bien écouter tout ce qui a pu se dire ou se faire durant cette période, il nous parait évident qu’il existe plusieurs Mai 68 et que celui qui voudrait prendre position sur l’événement en bloc, sans déméler la pelote pour faire les nuances qui s’imposent, tomberait dans les plus effarantes contradictions.
Notre Mai 68, celui dans lequel nous nous reconnaissons et dont nous saluons la mémoire, c’est le Mai social, celui qui fait écho à la Commune, celui des occupations d’usine, celui du monde du travail descendu dans la rue pour réclamer une hausse légitime des salaires, ouvrant pas la même occasion un débat novateur sur les rapports capital-travail et sur le statut de l’ouvrier, statut trop souvent dévalorisé par la bourgeoisie possédante. Le Mai que nous aimons et qui continue de nous faire rêver, c’est celui-ci, celui de l’effervescence, de l’espoir, de la volonté d’une société meilleure, celui des travailleurs enfin conscients de leur valeur et de leur pouvoir, se mettant à discuter, lire, écrire des revues, s’organiser collectivement, échappant à tous les partis et se permettant en outre de remettre en cause le syndicalisme officiel. Ce Mai-ci, nous ne l’oublierons jamais, nous regrettons seulement de ne pas l’avoir vécu nous-mêmes et nous travaillons chaque jour à sa refloraison, persuadés que l’émancipation de la plus large part de nos concitoyens est encore à faire et que les conditions de travail, dans bien des secteurs de notre économie, restent déplorables – comme beaucoup d’entre nous ont pu le rappeler le 1er Mai dernier, soit il y a quelques jours à peine.
Il existe un autre Mai, plus spectaculaire en apparence mais bien moins subversif que l’autre, un Mai que la commémoration officielle semble considérer comme le seul événement digne de souvenir, précisément parce que les vétérans de ce Mai-là, repentis ou non, sont omniprésents dans la plupart des grands médias. Ce Mai-là, le Mai estudiantin, le Mai libertaire (et bientôt libéral) a été, nous le savons, le fait d’une minorité – minorité importante mais minorité tout de même – de jeunes gens à haut niveau socioculturel, enfants de la bourgeoisie pour la plupart, et porte-paroles sans le savoir de revendications souvent spécifiquement bourgeoises. Il est piquant de constater que ces étudiants, paradoxalement formés à l’école marxiste, ont parfaitement tenu leur rôle dans la lutte des classes ...qui les opposait à la police, corps républicain d’extraction beaucoup plus populaire, massivement syndiqué et majoritairement de gauche ! Ironie de la sociologie réelle.
Avec ce Mai-là, celui des mots d’ordre sociétaux, celui de l’anti-gaullisme primaire, celui du rejet des autorités légitimes, celui de la « révolution » sexuelle, celui de l’indifférenciation et de la haine de soi, nous n’avons rien en commun, et il ne nous inspire guère de sympathie. Si nous avions été étudiants en 68, nous aurios été aux côtés de nos collègues bien sûr, nous aurions été des leurs car c’était au fond le seul camp possible, parce qu’il y avait une vraie émulation, enthousiasmante, communicative, et parce que l’humanisme et la générosité professés étaient bien souvent réels, et surtout parce que personne ne pouvait prévoir comment tout cela allait, au fil du temps, dégénérer et se retourner jusque contre les idéaux qui avaient fait naître le mouvement. La critique de l’ancien patronnat paternaliste (celui de la petite bourgeoisie nationale) n’a-t-elle pas été à l’origine de la destruction progressive des valeurs de l’entreprise par un nouveau patronnat ultralibéral, issu lui d’une grande bourgeoisie d’affaires internationale ? La subversion de certaines valeurs jugées oppressives n’a-t-elle pas paradoxalement abouti à faire tomber les dernières barrières morales qui protégaient encore les hommes de la voracité du marché ? C’est là toute l’imprévisibilité de l’Histoire : on a parfois raison de faire fausse route – on a raison dans l’instant.
Dans ce Mai-là, très vite, un certain déterminisme de classe – justement celui contre lequel on luttait – a repris ses droits, le jeune bourgeois s’est enfin accepté comme bourgeois (après s’être déguisé en mao quelques temps pour combler l’absence abyssale de prolétaires dans les assemblées « révolutionnaires ») et, plutôt que de renier sa révolte de jeunesse, il s’en est servi pour assumer et justifier son émancipation en tant que membre d’un groupe social privilégié. L’ex-soixante-huitard caricatural (mais existant bel et bien), c’est le diplômé supérieur qui a plutôt bien réussi, qui s’est arrêté en toutes choses à une ligne de conduite libérale-libertaire (pour reprendre l’expression de Serge July) et qui se sent comme un poisson dans l’eau dans une société où dominent une économie de droite et des valeurs culturelles de gauche. Or, les grévistes de Renault-Billancourt, pour ne citer qu’eux, souhaitaient exactement le contraire, ils demandaient des conditions de travail décentes et se foutaient comme de leur première fiche de paie des ayatollas de l’ultra-féminisme, des communautarismes homosexuels ou de la légalisation des drogues ; la plupart étaient patriotes et avaient une vision très précise de ce à quoi devait ressembler une famille – eux n’ont pas changé mais une certaine pensée unique leur a depuis bien fait comprendre qu’ils n’avaient pas le droit de penser comme ça. Cette fracture entre le social et le sociétal, entre le populaire et le bobo, est à la base même de la réflexion dialectique entreprise par Egalité & Réconciliation. Nous ne pouvons pas être pro ou anti-68 car l’événement est protéiforme et les contradictions qui y coexistaient n’étaient au fond pas très différentes des contradictions à l’oeuvre dans notre société d’aujourd’hui.
Ma seule participation aux commémorations de cette année aura été d’allumer France3 un soir, juste le temps d’entendre le grisonnant Daniel Cohn-Bendit traiter Georges Marchais d’ « ordure » (le mort, malgré son mythique sens de la répartie, n’a rien répondu) et d’éteindre mon téléviseur. La revanche du pédéraste social-démocrate sur l’ouvrier marxiste – pathétique.
La jeunesse de 2008 n’est décidemment pas celle de 1968 : le temps des vaches grasses est passé, celui des utopies aussi, et la liberté que nos parents appelaient de leurs voeux présente aujourd’hui un visage si grimaçant que nous réfléchirons désormais à deux fois avant de revendiquer n’importe quoi pour n’importe qui. Nous, les enfants de l’école libertaire (et obligatoire), avons suffisamment fait les frais des délires pédagogiques anti-autoritaires de nos ainés. A l’heure où ce sont les plus défavorisés qui réclament un retour à l’ordre, nous sommes tous en quête de travail et d’un avenir stable, tentant de surnager dans la crise. Et lorsque le présent nous en laisse le temps, oui, nous continions de penser, d’espérer, de construire, car malgré un certain abattement général, nous sommes nombreux à savoir qu’autre chose est possible, qu’il doit bien exister quelque chose au-delà du marché-monde et des colonies atlantistes et que c’est justement au-delà que nous voulons aller. Nous sommes de plus en plus nombreux à en prendre la direction, à apporter notre contribution à ce changement. Que l’on ne s’y trompe pas, ceci aussi est une révolution : une révolution populaire, socialiste et patriote, une révolution sur fond de valeurs nobles et massivement partagées, des valeurs de dignité humaine, d’honneur, de justice sociale et de souveraineté nationale. C’est ce Mai-ci, le Mai des travailleurs, le Mai des peuples, le Mai des familles, dont nous nous souviendrons toujours et qui nous encourage dans la continuité de cette lutte.
David L’Épée pour Egalité & Réconciliation
Notre Mai 68, celui dans lequel nous nous reconnaissons et dont nous saluons la mémoire, c’est le Mai social, celui qui fait écho à la Commune, celui des occupations d’usine, celui du monde du travail descendu dans la rue pour réclamer une hausse légitime des salaires, ouvrant pas la même occasion un débat novateur sur les rapports capital-travail et sur le statut de l’ouvrier, statut trop souvent dévalorisé par la bourgeoisie possédante. Le Mai que nous aimons et qui continue de nous faire rêver, c’est celui-ci, celui de l’effervescence, de l’espoir, de la volonté d’une société meilleure, celui des travailleurs enfin conscients de leur valeur et de leur pouvoir, se mettant à discuter, lire, écrire des revues, s’organiser collectivement, échappant à tous les partis et se permettant en outre de remettre en cause le syndicalisme officiel. Ce Mai-ci, nous ne l’oublierons jamais, nous regrettons seulement de ne pas l’avoir vécu nous-mêmes et nous travaillons chaque jour à sa refloraison, persuadés que l’émancipation de la plus large part de nos concitoyens est encore à faire et que les conditions de travail, dans bien des secteurs de notre économie, restent déplorables – comme beaucoup d’entre nous ont pu le rappeler le 1er Mai dernier, soit il y a quelques jours à peine.
Il existe un autre Mai, plus spectaculaire en apparence mais bien moins subversif que l’autre, un Mai que la commémoration officielle semble considérer comme le seul événement digne de souvenir, précisément parce que les vétérans de ce Mai-là, repentis ou non, sont omniprésents dans la plupart des grands médias. Ce Mai-là, le Mai estudiantin, le Mai libertaire (et bientôt libéral) a été, nous le savons, le fait d’une minorité – minorité importante mais minorité tout de même – de jeunes gens à haut niveau socioculturel, enfants de la bourgeoisie pour la plupart, et porte-paroles sans le savoir de revendications souvent spécifiquement bourgeoises. Il est piquant de constater que ces étudiants, paradoxalement formés à l’école marxiste, ont parfaitement tenu leur rôle dans la lutte des classes ...qui les opposait à la police, corps républicain d’extraction beaucoup plus populaire, massivement syndiqué et majoritairement de gauche ! Ironie de la sociologie réelle.
Avec ce Mai-là, celui des mots d’ordre sociétaux, celui de l’anti-gaullisme primaire, celui du rejet des autorités légitimes, celui de la « révolution » sexuelle, celui de l’indifférenciation et de la haine de soi, nous n’avons rien en commun, et il ne nous inspire guère de sympathie. Si nous avions été étudiants en 68, nous aurios été aux côtés de nos collègues bien sûr, nous aurions été des leurs car c’était au fond le seul camp possible, parce qu’il y avait une vraie émulation, enthousiasmante, communicative, et parce que l’humanisme et la générosité professés étaient bien souvent réels, et surtout parce que personne ne pouvait prévoir comment tout cela allait, au fil du temps, dégénérer et se retourner jusque contre les idéaux qui avaient fait naître le mouvement. La critique de l’ancien patronnat paternaliste (celui de la petite bourgeoisie nationale) n’a-t-elle pas été à l’origine de la destruction progressive des valeurs de l’entreprise par un nouveau patronnat ultralibéral, issu lui d’une grande bourgeoisie d’affaires internationale ? La subversion de certaines valeurs jugées oppressives n’a-t-elle pas paradoxalement abouti à faire tomber les dernières barrières morales qui protégaient encore les hommes de la voracité du marché ? C’est là toute l’imprévisibilité de l’Histoire : on a parfois raison de faire fausse route – on a raison dans l’instant.
Dans ce Mai-là, très vite, un certain déterminisme de classe – justement celui contre lequel on luttait – a repris ses droits, le jeune bourgeois s’est enfin accepté comme bourgeois (après s’être déguisé en mao quelques temps pour combler l’absence abyssale de prolétaires dans les assemblées « révolutionnaires ») et, plutôt que de renier sa révolte de jeunesse, il s’en est servi pour assumer et justifier son émancipation en tant que membre d’un groupe social privilégié. L’ex-soixante-huitard caricatural (mais existant bel et bien), c’est le diplômé supérieur qui a plutôt bien réussi, qui s’est arrêté en toutes choses à une ligne de conduite libérale-libertaire (pour reprendre l’expression de Serge July) et qui se sent comme un poisson dans l’eau dans une société où dominent une économie de droite et des valeurs culturelles de gauche. Or, les grévistes de Renault-Billancourt, pour ne citer qu’eux, souhaitaient exactement le contraire, ils demandaient des conditions de travail décentes et se foutaient comme de leur première fiche de paie des ayatollas de l’ultra-féminisme, des communautarismes homosexuels ou de la légalisation des drogues ; la plupart étaient patriotes et avaient une vision très précise de ce à quoi devait ressembler une famille – eux n’ont pas changé mais une certaine pensée unique leur a depuis bien fait comprendre qu’ils n’avaient pas le droit de penser comme ça. Cette fracture entre le social et le sociétal, entre le populaire et le bobo, est à la base même de la réflexion dialectique entreprise par Egalité & Réconciliation. Nous ne pouvons pas être pro ou anti-68 car l’événement est protéiforme et les contradictions qui y coexistaient n’étaient au fond pas très différentes des contradictions à l’oeuvre dans notre société d’aujourd’hui.
Ma seule participation aux commémorations de cette année aura été d’allumer France3 un soir, juste le temps d’entendre le grisonnant Daniel Cohn-Bendit traiter Georges Marchais d’ « ordure » (le mort, malgré son mythique sens de la répartie, n’a rien répondu) et d’éteindre mon téléviseur. La revanche du pédéraste social-démocrate sur l’ouvrier marxiste – pathétique.
La jeunesse de 2008 n’est décidemment pas celle de 1968 : le temps des vaches grasses est passé, celui des utopies aussi, et la liberté que nos parents appelaient de leurs voeux présente aujourd’hui un visage si grimaçant que nous réfléchirons désormais à deux fois avant de revendiquer n’importe quoi pour n’importe qui. Nous, les enfants de l’école libertaire (et obligatoire), avons suffisamment fait les frais des délires pédagogiques anti-autoritaires de nos ainés. A l’heure où ce sont les plus défavorisés qui réclament un retour à l’ordre, nous sommes tous en quête de travail et d’un avenir stable, tentant de surnager dans la crise. Et lorsque le présent nous en laisse le temps, oui, nous continions de penser, d’espérer, de construire, car malgré un certain abattement général, nous sommes nombreux à savoir qu’autre chose est possible, qu’il doit bien exister quelque chose au-delà du marché-monde et des colonies atlantistes et que c’est justement au-delà que nous voulons aller. Nous sommes de plus en plus nombreux à en prendre la direction, à apporter notre contribution à ce changement. Que l’on ne s’y trompe pas, ceci aussi est une révolution : une révolution populaire, socialiste et patriote, une révolution sur fond de valeurs nobles et massivement partagées, des valeurs de dignité humaine, d’honneur, de justice sociale et de souveraineté nationale. C’est ce Mai-ci, le Mai des travailleurs, le Mai des peuples, le Mai des familles, dont nous nous souviendrons toujours et qui nous encourage dans la continuité de cette lutte.
David L’Épée pour Egalité & Réconciliation
