Les manifestations vont-elles reprendre ? Les opposants à un troisième mandat du président burundais Pierre Nkurunziza espéraient lundi à Bujumbura remobiliser leurs troupes après la désillusion de l’échec du coup d’État, appelant à de nouvelles manifestations massives et pacifiques.
La journée sera un test de la vivacité ou de l’essoufflement du mouvement : "Ce lundi matin sera le 23e jour des manifestations contre la troisième candidature de Nkurunziza", a rappelé sur les réseaux sociaux Pacifique Nininahazwe, une des figures de la contestation.
"Quittons la peur, retrouvons notre élan de mercredi avant le coup d’État", a-t-il lancé, alors que les violences liées à la contestation ont fait une vingtaine de morts en trois semaines.
Objectif affiché : "entrer en ville", à savoir le centre de Bujumbura, sanctuarisé par la police qui bloque depuis le début du mouvement le 26 avril les manifestants dans les quartiers périphériques et les empêche de converger vers le centre de la capitale, provoquant des heurts parfois violents et meurtriers avec les contestataires.
Mercredi 13 mai, les manifestants étaient parvenus à se rassembler en masse et pacifiquement dans le centre-ville, sur la symbolique place de l’Indépendance, jouant ensuite au chat et à la souris avec les policiers qui tentaient de les disperser à coups de gaz lacrymogènes. Cette percée symbolique jusqu’au coeur de la capitale avait été suivie peu après par l’annonce de la destitution du président Nkurunziza par le général Godefroid Niyombare, un ancien proche du chef de l’État.
"Nous nous asseyons les mains en l’air"
"La marche est pacifique : nous nous arrêtons quand la police nous affronte, nous nous asseyons les mains en l’air. Puis nous reprenons la marche", a ordonné M. Nininahazwe, "évitons tout acte de provocation : pas d’insulte, pas de pierres", traditionnellement envoyés par les jeunes contre les policiers, provoquant des ripostes parfois à balles réelles.
"Aidez-nous à diffusez cette information, par tous les canaux possibles", a conclu M. Nininahazwe, alors que la mise à sac jeudi des quatre radios indépendantes, réputées proche du mouvement antitroisième mandat et qui relayaient les mots d’ordre de manifestations, les a réduites au silence et handicape la capacité de mobilisation.
Dans les quartiers, les jeunes contestataires affirmaient leur volonté de recommencer massivement à manifester lundi. "Après l’échec du coup d’État, le moral était vraiment très bas, mais là le moral remonte", assurait samedi Martin, comptable de 34 ans dans le quartier contestataire de Nyakabiga, promettant des manifestations massives lundi.
Un fonctionnaire de Ngagara - qui ne participe pas aux marches - a dit s’attendre lundi à d’importantes manifestations lundi dans ce quartier, autre foyer de contestation.
Les autorités ont lié le coup d’État avorté au mouvement de contestation. Le putsch avait été fomenté par de hauts gradés et dirigé par le général Godefroid Nyombaré, ancien compagnon d’armes de M. Nkurunziza durant la guerre civile burundaise (1993-2006), au sein de la rébellion du CNDD-FDD, désormais parti au pouvoir.
Bien qu’ils se défendent de liens avec les putschistes, les protestataires craignent que les autorités ne se servent du coup d’État avorté pour durcir la répression, déjà brutale.
De retour dans son palais, le président avait déjà mis en garde les opposants à sa candidature, faisant le lien entre manifestants et militaires putschistes, et exigeant "avec force" l’"arrêt immédiat du soulèvement" populaire.
Dimanche soir, le maire de Bujumbura, Saïdi Juma, s’exprimant à la télévision nationale, a été tout aussi clair : "Les manifestants seront considérés comme des putschistes et les forces de l’ordre et de sécurité ont reçu l’ordre de les traiter comme tels".
"Ce coup d’État était un simulacre pour traquer les opposants et faire cesser les manifestations", selon Claude, fonctionnaire de 38 ans, relayant une opinion largement partagée chez les adversaires du troisième mandat.
Parmi les inconnues lundi, figure l’attitude qu’aura l’armée face aux protestataires. Jusqu’ici louée par les manifestants pour sa neutralité, refusant de prendre part à la répression, et s’interposant même entre protestataires et policiers pour éviter les dérapages, elle s’est majoritairement rangée derrière le pouvoir durant le putsch.
Dans les quartiers contestataires, la reprise en main par le pouvoir suscitait la peur des exactions par les Imbonerakure, les membres de la Ligue de jeunesse du CNDD-FDD, qualifiée par l’ONU de milice et accusée par les opposants de s’occuper des basses oeuvres du parti : intimidations et exactions contre ceux qui s’opposent au président Nkurunziza.