Jean-Pierre Chevènement présentait mardi dernier à l’IEP d’Aix-en-Provence son dernier livre, Un défi de civilisation (Fayard). Retour sur ce que l’ancien ministre de l’Éducation pense de l’état présent de l’école de la République.
L’essentiel de la conférence de Chevènement, et de son livre, porte sur la politique étrangère de la France — et j’avoue avoir éprouvé un certain plaisir à l’entendre crucifier le va-t’en-guerrisme de Bush en Irak, de Sarkozy en Libye, et du trio infernal Hollande/Fabius/Ayrault en Syrie : après tout, Daech est le monstre issu de ces politiques brouillonnes. Ou expliquer la nécessité de ramener la Russie dans le giron européen, dût-il en coûter à Angela Merkel.
Mais l’ancien ministre, avec une éloquence matoise et une érudition sans faille, a terminé son exposé comme il termine son livre, par l’école — parce que, dit-il, le vrai populisme en ce moment est moins dans la drague effrénée des catégories populaires par tel ou tel parti que dans « la promotion de l’école "ludique", "lieu de vie" dédié aux "activités d’éveil", périmant l’idée de mémoire et de travail individuel ». Et de suggérer fortement, d’emblée, de cesser d’« ubériser » l’école pour la « ramener à sa vocation de transmission », tordant le cou « aux utopies qui depuis un demi-siècle la sapent de l’intérieur ».
Il a enchaîné avec quelques anecdotes sur la façon dont, dès les années 1980, quand il officiait Rue de Grenelle, les pédagogistes infiltrés à tous les échelons du « Mammouth » voulaient l’inciter déjà à sacrifier l’étude de la grammaire (qui fait tant de bruit aujourd’hui) sur l’autel de la démagogie.
Un pseudo-combat contre l’élitisme qui mine la République
« Les ministres en fonction, souligne-t-il, n’étaient pas obligés d’apporter leur concours irréfléchi à l’esprit du temps ». Le désengagement de l’État, sensible dans tous les secteurs, a été poussé jusqu’à la caricature à l’école, en « libérant les initiatives » ou en laissant la bride sur le cou aux « experts » qui ont prononcé la mort du grec, du latin et de l’allemand au collège, et qui ont inventé les « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) où l’on perd galamment son temps à deux au lieu de l’utiliser intelligemment tout seul. Au nom d’un pseudo-combat contre l’élitisme, en faisant une lecture partielle et partiale des enquêtes de l’OCDE sur l’état de l’école (PISA), on ne vise rien moins qu’à « rendre obsolète l’idée même d’une école de la République et en définitive la République elle-même ».
« La tâche la plus importante aujourd’hui est d’affirmer la vocation de l’école de transmettre » — en particulier, transmettre la langue en s’appuyant sur les meilleurs auteurs classiques, parce que le français est une langue écrite même à l’oral. L’héritage de 1968, en matière scolaire, est « un héritage de facilité ». Et il est paradoxal de prétendre combattre les inégalités en important en France un modèle scolaire anglo-saxon qui est fondamentalement inégalitaire et générateur de communautarisme — à moins que ce ne soit justement le plan de tous les gredins grenelliens qui sévissent depuis quarante ans : détruire, via l’école et la transmission désormais avortée de la langue et de la culture française, l’idée même d’une école nationale — et, partant, de l’État-nation français. Le protocole de Lisbonne, qui en 2000 substitua à la transmission des savoirs l’idéologie des « compétences », fut le clou enfoncé dans le cercueil, sur lequel ont tapé politiques de droite et de gauche avec aveuglement. Chevènement montre dans son livre par quelle perversion de la pensée on a fait de l’école, « au prétexte de l’égalité réelle, une fabrique de cancres ». Tiens, cela m’a rappelé quelque chose.