Des Israéliens expliquent pourquoi ils se joignent au mouvement pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions [BDS].
C’est l’Egypte qui m’a fait penser au mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) d’une manière sérieuse. Je pratiquais déjà un boycott discret et ciblé des produits des colonies - lisant les étiquettes à l’épicerie afin de m’assurer si je n’étais pas en train d’acheter quelque chose venant d’au-delà de la Ligne Verte [zone de cessez-le feu de la guerre de 1948 - N.d.T].
Je faisais cela depuis longtemps. Mais à un moment donné, j’ai réalisé que mon boycott privé était un peu naïf. Et j’ai compris que ce n’était pas suffisant.
Ce n’est pas seulement les colonies et l’occupation, les deux faces d’une même médaille, qui constituent un grave obstacle à la paix et portent atteinte aux droits des Palestiniens. C’est tout ce qui les soutient - le gouvernement et ses institutions. C’est la bulle dans laquelle vivent beaucoup d’Israéliens dans l’illusion de la normalité. C’est le sentiment pour Israël que le statu quo est durable.
Et les colonies sont un peu un faux-fuyant, une cible facile pour exprimer sa colère. Les Israéliens doivent également affronter l’une des injustices majeures qui ont résulté de l’installation de leur Etat - la Nakba, la dépossession subie par des centaines de milliers de Palestiniens.
Alors que la campagne BDS affiche cela, entre autres revendications - les trois principes du mouvement sont le respect pour les Palestiniens du droit au retour, comme indiqué dans la résolution 194 des Nations Unies, un terme à l’occupation et l’égalité des droits pour les citoyens palestiniens d’Israël - je suis restée réticente à m’impliquer d’avantage.
Je dois admettre que j’étais inquiète du mouvement. Je ne pensais pas que ce serait utile. J’étais sûr que la campagne BDS ne ferait qu’encourager Israël à enfoncer ses talons plus profondément. Elle ne fera qu’empirer les choses pour tout le monde, pensais-je.
L’Egypte a été le point de basculement pour moi. J’étais exaltée par les images de ce peuple descendant dans la rue pour exiger le changement. Et tandis que les mémos de Palestine prouvent que le gouvernement semble déterminé à maintenir le statu quo, je connais beaucoup d’Israéliens qui en ont plus qu’assez.
Il y a des mères qui ne veulent pas envoyer leurs enfants à l’armée, des soldats qui ont le sentiment de servir de gardiens aux colons. J’ai récemment parlé avec un homme de 44 ans - un type normal, père de deux enfants - qui m’a dit qu’il voulait mettre le feu à quelque chose, tellement il se sent frustré avec le gouvernement et si inquiet de l’avenir.
Et l’Egypte aujourd’hui est sur les lèvres de nombreux Israéliens. Donc, ce qu’on peut faire pour faire plier Israël ? Que peut-on faire pour encourager les Israéliens à se battre pour le changement, à se battre pour la paix, pour se libérer d’un conflit qui mine leur libre arbitre, leur liberté ?
La campagne BDS a accumulé un certain nombre de succès, ce qui est une des raisons pour lesquelles la Knesset israélienne veut faire adopter un projet de loi, connue sous le nom de la loi Boycott, qui aurait pour effet de criminaliser les Israéliens qui se joindraient au mouvement en leur infligeant d’énormes amendes.
Et certains de ceux qui sont impliqués dans la campagne BDS ressentent déjà une très très forte pression venant de l’Etat.
« Israël est un simulacre de démocratie »
Leehee Rothschild, âgée 26 ans, fait partie des nombreux Israéliens qui ont répondu à l’appel palestinien de 2005 pour le BDS. Récemment, son appartement de Tel-Aviv a été perquisitionné. Alors que la police faisait cela sous le prétexte de rechercher des drogues, elle a été emmenée au poste pour un bref interrogatoire qui s’est concentré entièrement sur la politique.
« La personne qui est venu me libérer [de l’interrogatoire] était un officier du renseignement qui a dit qu’il est en charge du suivi de l’activité politique dans la région de Tel Aviv, » dit Rothschild. C’était l’officier qui avait demandé le mandat de perquisition.
Depuis l’opération Plomb Durci, des militants israéliens ont fait état d’une pression croissante de la police ainsi que des services généraux de sécurité - connus sous l’acronyme hébreu, Shabak.
Le mandat de ce dernier comprend, entre autres, l’objectif du maintien d’Israël en tant qu’Etat juif, ce qui transforme en cible de ceux qui prônent la démocratie.
Les perquisitions à domicile, comme celui de Rothschild, ne sont pas rares ainsi que les appels téléphoniques de la Shabak.
« C’est évident que [la pression] n’est rien comparé à ce que vivent les Palestiniens », dit Rothschild. « Mais je pense que nous touchons un point sensible. »
Interrogée sur le projet de loi Boycott, Rothschild fait le commentaire suivant : « Si le projet de loi est adopté, il fera tomber encore un peu plus le masque de la démocratie israélienne. »
Un amour fort
Comme pour son implication dans la campagne BDS, Rothschild remarque qu’elle n’était pas au courant de l’existence du mouvement jusqu’à ce qu’il devienne un sujet sérieux de discussion au sein de la gauche radicale en Israël à laquelle elle appartient. Et même après en avoir entendu parler, elle ne s’y était pas tout de suite ralliée.
« J’avais des réserves à propos de la campagne [BDS] », se souvient Rothschild. « J’y ai réfléchi pendant un temps très long et j’en ai discuté avec mes amis. »
« La principale réserve que je faisais était que les [aspects] économiques feraient d’abord du mal à la partie fragile de la société - les pauvres - les gens qui ont le moins d’impact sur ce qui se passe. Mais je pense que l’occupation fait bien plus de tort à ces personnes que ne peuvent le faire les désinvestissements. »
Rothschild souligne que les fonds publics qui sont versés pour la « sécurité, la défense et l’oppression du peuple palestinien » pourraient être mieux utilisés en Israël pour aider les personnes des couches socio-économiques les plus défavorisées.
« Une autre réserve que j’avais, était que cela pourrait rendre les Israéliens plus extrémistes, plus fondamentalistes », ajoute Rothschild. « Mais je dois dire que la route qu’il faut parcourir aujourd’hui pour être tout à fait extrêmiste est bien courte. »
Comme Israélienne, Rothschild estime que rejoindre le mouvement BDS est un acte de bienveillance. Elle a de l’amour pour le pays où elle est née et où elle a grandi.
« J’espère que pour certaines personnes, ce sera une gifle au visage et qu’ils vont se réveiller et voir ce qui se passe », dit Rothschild, ajoutant que l’oppresseur se retrouve ainsi sous pression.
« Le peuple israélien paie également un prix pour l’occupation - il vit dans une société qui est sectaire, violente, raciste. »
« Renoncer à mes privilèges »
Ronnie Barkan, âgé de 34 ans, explique qu’il a fait son premier pas vers le boycott il y a 15 ans, quand il a refusé de terminer son service militaire obligatoire.
« Il y a beaucoup de pression sociale [en Israël], » dit Barkan. « Nous sommes poussés à être des soldats dès la maternelle. On nous enseigne qu’il est de notre devoir [de servir dans l’armée] et que vous êtes un parasite ou un traître si vous ne voulez pas servir. »
« Ce qui est encore pire, c’est que les gens sont portés à être profondément racistes », ajoute-t-il. « Tout est fait pour soutenir l’idée que vous êtes les maîtres de la terre. Soutenir la campagne BDS, c’est renoncer à mes privilèges dans ce pays tout en voulant l’égalité pour tous. »
Barkan compare son adhésion au mouvement de boycott à celle des « blancs qui ont dénoncé leurs privilèges dus à l’Apartheid et ont rejoint la lutte des Noirs en Afrique du Sud ».
Je grince des dents au mot « Apartheid », explique Barkan. « Israël se situe clairement sous le coup de la définition juridique du ’crime d’apartheid’ tel que défini dans le Statut de Rome. »
« Plus jamais ça à personne »
Certains s’opposent à la campagne BDS car elle inclut la reconnaissance du droit au retour des Palestiniens. Ces critiques affirment que l’évolution démographique empiéterait sur l’autodétermination juive. Mais Barkan fait valoir que « la fondation sous-jacente [au mouvement] est la reconnaissance de droits universellement reconnus comme les droits de l’homme et le droit international ».
Il souligne que la campagne BDS respecte les droits des Palestiniens et des Juifs et comprend les partisans d’un Etat bi-national, d’un État démocratique, ainsi que ceux qui croient que la solution à deux Etats est la meilleure réponse au conflit.
Il souligne également que la campagne BDS n’est pas anti-sémite. Elle n’est pas anti-israélienne.
« La campagne de boycott ne vise pas les Israéliens. Elle s’attaque à la politique criminelle d’Israël et des institutions qui s’en font les complices, et non pas aux individus », dit-il.
« Mais disons qu’un musicien ou un universitaire israélien va à l’étranger et qu’il est interdit de conférence ou d’un lieu simplement parce qu’il est israélien ... » commençais-je à interroger.
« Non, non, cela ne relève pas [des lignes directrices] du boycott, » répond Barkan.
« Parce que ce n’est pas un boycott. C’est du racisme », dis-je.
« Exactement », répond Barkan, ajoutant que l’appel palestinien pour le BDS est « un appel très responsable » qui « fait une distinction entre les institutions et les individus et qui est clairement pour un boycott des institutions et de leurs représentants ».
« Chaque fois qu’il y a une zone grise », ajoute-t-il, « nous prenons l’approche plus modérée. »
Pourtant, Barkan a essuyé des critiques pour son rôle dans le mouvement de boycott.
« Ma grand-mère qui est allé à Auschwitz me dit : ’Tu peux penser ce que tu veux, mais ne parle pas de ta politique parce que ce n’est pas beau ». Je lui réponds : « Tu sais qui ne parlait pas il y a 70 ans. »
Barkan ajoute : « Je pense que la principale leçon à tirer de l’Holocauste est ’plus jamais ça à personne’ et non pas ’plus jamais ça aux Juifs’. »
Mya Guarnari