La Corée du Sud développera son propre système de défense antimissile et se désintéresse du bouclier antimissile global que les États-Unis entendent déployer dans la région d’Asie et du Pacifique. Ces déclarations inattendues ont été faites après la récente visite du chef du Pentagone Leon Panetta dans la péninsule coréenne.
Les objections officielles de Séoul contre le bouclier antimissile global asiatique concernent les aspects techniques à savoir que seuls les tirs de missiles à une distance de 500 à 1 000 km (il s’agit, naturellement, de Pyongyang) présentent une menace pour la Corée du Sud cependant que le plan américain ne prévoit que les objectifs situés beaucoup plus loin. Mais la raison véritable du refus poli est vraisemblablement plus profonde. Séoul ne souhaite pas contrarier ni son voisin du nord ni, à plus forte raison, la Chine. En effet, en toute logique, c’est Pékin qui est le principal adversaire du déploiement du bouclier antimissile américaine dans la région.
Pou tout dire, ce bouclier commence à bien faire pour les alliés occidentaux des États-Unis. On a même l’impression qu’ils seraient ravis de se débarrasser du projet américain mais sont mis sous pression par le grand frère. C’est maintenant le tour des asiatiques qui se voient entraînés dans la tristement célèbre « politique d’endiguement » à laquelle s’accrochent les États-Unis, estime le grand-maître international d’échecs Vladislav Tkatchev.
Une théorie géopolitique foncièrement nouvelle a vu le jour dans la lointaine année 1946 dans les couloirs de l’ambassade des États-Unis à Moscou. Elle avait pour but d’endiguer la propagation du communisme dans le monde entier. Ces craintes étaient réellement justifiées parce que la popularité de l’Union Soviétique était à son apogée après la victoire sur les nazis alors que l’idéologie qu’elle professait semblait être particulièrement alléchante pour les peuples des pays colonisés. La politologie occidentale a mis au point la théorie des dominos qui tombent les uns après les autres sur un rythme accéléré. On entendait bien entendu par les dominos les pays d’Europe de l’Est et d’Asie convertis à la doctrine marxiste-léniniste et chassant de leur territoire les administrations coloniales.
À propos, c’est cette théorie qui a servi en son temps de fondement à l’invasion à la fin des années 1950 de la Corée et du Vietnam par les États-Unis. Washington professe de nos jours les mêmes principes, poursuit Vladislav Tkatchev.
Le même schéma d’endiguement est appliqué de nos jours dans la lutte pour les ressources et la domination en Eurasie, sauf qu’il y a désormais beaucoup plus d’endigués. En plus de Russie, c’est l’Iran et, naturellement, la Chine. On a toujours l’impression que les artisans de la théorie se sont inspirés du postulat classique de la stratégie échiquéenne qui dispose que l’objet d’attaque doit être limité et bloqué avant d’être détruit. Dans le cas de l’Iran, la peu de voir se former la ceinture chiite des pays musulmans pousse l’Occident et ses alliés du Proche-Orient à souffler sur les flammes de la guerre civile en Syrie. Les membres de la coalition disparate ont en outre les intérêts divergents : si les États-Unis cherchent surtout à soutenir Israël et à serrer l’étau autour de la Chine, l’Arabie Saoudite et la Qatar veulent sécuriser pendant de longues années leurs exportations d’hydrocarbures.
En ce qui concerne la région d’Asie et du Pacifique, il n’est un secret pour personne que le segment asiatique du bouclier antimissile global vise avant tout non pas Pyongyang mais la Chine, qui est le principal concurrent militaire et politique de Washington dans cette région. Pourtant, le cas de Séoul doit donner à réfléchir à la Maison Blanche parce que les plans sont une chose et la réalité c’en est une autre, estime Vladislav Tkatchev.
On sait qu’un bon joueur d’échecs pense à la fin du jeu dès les premiers coups. Mais, comme on dit dans le football, le but est carré et le ballon est rond si bien que toutes ces constructions théoriques peuvent s’écrouler au contact des réalités.
Les experts relèvent que Séoul craint non seulement la détérioration de ses relations avec la Chine et la Russie s’il adhère au système américain de défense antimissile. Il est également dissuadé par le coût de la participation de la Corée du Sud au déploiement du bouclier antimissile à l’américaine. Selon certaines estimations, le gouvernement sud-coréen devra dépenser environ 100 milliards de dollars sans obtenir aucun renforcement réel de sa capacité de défense en contrepartie de cette somme astronomique.