Pauvre Blanche ! À peine était-elle sauvée de la terrible accusation d’antisémitisme – qui équivaut à une fin de carrière immédiate – et à l’accusation un peu moins terrible d’anticharlisme que l’humoriste qui fit trembler la Nuit des Molières 2018 a basculé dans une faille de l’espace-temps que l’on connaît bien : la bien-pensance gauchiste qui guette tous les people.
Après une accélération de carrière fulgurante en 2018-2019, Blanche avait le choix entre banquette et banquise. Elle a choisi banquette. Alors qu’elle semblait promise à un avenir dieudonnesque, elle a remballé son humour dévastateur et servi la soupe à la socioculture bien-pensante en envoyant ce missile antiprésidentiel sur son Facebook :
« Je suis flattée. Merci. Mais je ne pourrai accepter une récompense que sous un gouvernement qui tient ses promesses et qui met tout en œuvre pour sortir les personnes sans domicile de la rue…
Où comptiez vous les mettre, ces gens que vous ne vouliez plus voir dans la rue Monsieur le président, alors que vous preniez toutes ces mesures qui allaient provoquer l’effet inverse ? Il y en a de plus en plus tous les jours, des femmes, des hommes, et des enfants qui vivent, dorment et meurent dans les rues de France. Mais peut-être votre absence de vision vous a aussi ôté la vue. »
Quel courage, s’attaquer au pouvoir visible qui est fait pour ça, tirer sur l’ambulance Macron, fustiger la lutte anti-pauvreté jamais gagnée... On dirait du Josiane Balasko avec les migrants !
Stéphane Rose, le trublion de la télé et des éditions cochonnes, résume la chose à sa façon :
« Ah ça y est, Blanche Gardin est devenue chiante. Je me disais aussi. L’état de grâce ne pouvait pas durer indéfiniment. À l’année prochaine pour chanter du Goldman déguisée en personnage Disney dans les Enfoirés ! »
Comment l’irrésistible Blanche a-t-elle pu en arriver là ? Est-elle coachée par BHL ? Conseillée par Dubosc ? Approchée par Elmaleh ? L’explication est plus structurelle. Écoutez cette histoire que l’on va vous raconter...
À un moment donné, quand la notoriété est au plus haut, soit on choisit le Système, soit on choisit une voie plus dangereuse, plus personnelle : on ouvre une voie, comme Alex Honnold. En général, c’est le Système qui nous choisit et on se laisse faire, par paresse, par faiblesse, par confort, par lâcheté. C’est ce qui est arrivé à Blanche qui faisait assaut de politiquement incorrect et qui aujourd’hui se range, bien comme il faut, dans la case prévue à son effet.
Voilà qu’elle attaque le pouvoir visible – se prenant pour l’Opposition à elle seule – en demandant des comptes, personnellement, de Dieu à Dieu, au président de la République française en personne. Un melon soufflé qui aurait pu être une quenelle de 800 mais le courage a manqué. On peut vivre de l’humour mais vivre avec humour demande une autre trempe.
Souvent les humoristes qui défoncent tout sur scène sont de gentils lapinous hors champ, et généralement de gros flippés de leur race. L’image, l’argent, le public, la presse, les réseaux sociaux, tout cela est suivi comme le lait sur le feuj. On ne doit plus commettre d’écart, les écarts c’est bon pour le démarrage, la fusée qui décolle, mais après, la fusée se change en petit zingue pépère, on rêve de Mach 2 ou de Mach 3 dans la stratosphère et on se retrouve en croisière plan-plan au-dessus des champs de pastèques.
Toutes ces vannes sur Charlie, le lobby, la Shoah, tout ça c’était pour se faire repérer, pour exister, pour monter, prouver sa liberté et puis, une fois le succès acquis, on remballe tous les pétards dangereux et on met des coups d’épée de bois dans l’eau tiède du consensus socioculturel.
Chacun fait ce qu’il lui plaît, il n’est pas question ici de juger la Blanquette, juste de montrer qu’à un niveau de notoriété donné, les forces d’attraction du Système sont presque irrésistibles. Et l’on se trouve malgré soi, malgré sa conscience de l’injustice générée par ce Système, faisant partie de l’armée promotionnelle de choc de l’oligarchie, qui se sert de tout ce qui monte pour se maintenir en haut.
Maintenant ses sketches auront le goût et l’odeur du calcul, ne parlons pas de trahison. Elle aurait pu être une Dieudonné au féminin – Dieudonnée ? –, elle va finir en Foresti qui raille les petits travers du quotidien, à la Gad El Mallette, et elle nous servira des histoires de cul qui ne font plus trembler personne en haut lieu mais qui font rire les bobos quadras qui ont voté Macron.
Tant que les stars n’oseront pas jeter leur notoriété dans la bataille du bas contre le haut – eh ouais la lutte des classes coco –, des pauvres contre la Banque, rien ne changera et tous les mots seront vains. Dieudonné est unique mais seul dans le show-biz, il a des soutiens secrets, mais il suffirait que deux, trois puis dix se retournent pour que les choses changent. Elles changent avec le courage, et pas le courage des autres : le sien. C’est seulement de la sorte que la chape de plomb maccarthyste actuelle peut se briser.
La leçon de morale de la fin comme dans les films américains
La surenchère – due à la concurrence féroce du milieu de l’humour – dans la vanne interdite au-delà de la ligne jaune établie par le CRIF mène logiquement à des dérapages, c’est-à-dire du blasphème aussitôt suivi de punition.
Il y a ceux qui s’arrêtent juste au bord de la falaise, ceux qui n’osent même pas approcher les Territoires interdits, ceux qui traversent la frontière Bien/Mal sans savoir, et ceux qui flirtent avec la ligne pour faire genre.
Et ceux, très rares, qui franchissent allègrement la ligne jaune en faisant une quenelle épaulée de 800 (le calibre de Lourd Gustave – « Schwerer Gustav » –, le canon des frères Krupp qui devait dévaster les fortifications de la ligne Maginot) aux gardiens du Temple.
On parlait de quenelle de 800, en voici une illustration. On commence par « Thor » en action devant les fortifs de Sébastopol et on termine sur « Gustav » et ses 800 mm. Autant apprendre des choses.