Bachar contre les « marionnettes de l’Occident »
L’intervention de Bachar al-Assad de ce dimanche est déjà en soi pour lui une sorte de succès médiatique, sans vrai précédent depuis une vingtaine de mois : tous les médias, du monde arabe et d’ailleurs, ont bien été obligés de retranscrire ou diffuser les propos bien sentis du président syrien sur les responsabilités, internes et externes, dans la crise et le déchaînement de la violence dans son pays. S’il ne fallait retenir qu’une phase du discours, ce serait peut-être celle-ci, qui nous semble assez bien « resituer » politiquement les « révolutionnaires syriens » , ceux qui posent des bombes et détruisent des villes, comme ceux qui s’agitent à Doha, au Caire ou à Paris.
« Voulez-vous que nous dialoguions avec des marionnettes de l’Occident, qui les a fabriquées et écrit leurs discours ? Il vaut mieux discuter avec l’original, pas avec des gens qui jouent un rôle sur les planches de la scène internationale. »
Ca c’est évidemment pour la « Coalition nationale syrienne« , à financement golfiste et appui européen. Quant aux « opposants » à Kalashnikov et RPG, Bachar a eu cette formule, sans surprise, mais pas sans pertinence : « Est-ce une révolution et sont-ils des révolutionnaires ? Non, c’est une bande de criminels ! » Et le président syrien a donné son sentiment sur le conflit en cours : « Nous faisons désormais face à un état de guerre, dans tous les sens du terme, une agression extérieure plus meurtrière et dangereuse qu’une guerre conventionnelle, menée par quelques Syriens et de nombreux étrangers. »
Bachar al-Assad a dressé un réquisitoire attendu contre ces fanatiques qu’on s’obstine encore contre toute bonne foi dans maintes rédactions françaises – « atlantistes » conviendrait mieux – à présenter comme des combattants de la liberté et de la dignité du peuple syrien, alors qu’ils n’ont jamais été des partisans de libertés concrètes et qu’ils sont de moins en moins syriens :
« Ils ont tué les innocents et les civils pour éteindre la lumière au pays, assassiné les compétences et les cerveaux pour généraliser leur ignorance, sapé l’infrastructure établie avec l’argent du peuple pour laisser s’infiltrer la souffrance et privé nos enfants des écoles pour détruire l’avenir du pays. Leur brutalité a été concrétisée par la destruction des silos, le vol de blé et de la farine. Est-ce cela est un conflit entre la patrie et ses ennemis ? Est-ce est un conflit sur l’autorité ou bien est-ce une vengeance du peuple qui n’a pas donné aux terroristes le signal pour démembrer la Syrie ? »
Bachar al-Assad a en effet accusé les bandes armées et leurs soutiens extérieurs de vouloir démembrer, sur une base religieuse, ce pays multi-confessionnel, unitaire et laïc, un des derniers ilots de tolérance religieuse concrète dans la région, avec le Liban.
« Cessez le feu les premiers, messieurs les terroristes »
Pour le reste, le président syrien a réitéré sa volonté de dialogue, et déploré n’avoir trouvé aucun interlocuteur pour l’ouvrir. La faute selon lui, non seulement aux extrémistes de la Coalition et du CNS, mais surtout à un Occident « qui a fermé la porte du dialogue (…) parce qu’il est habitué à donner des ordres alors que nous exerçons notre souveraineté, notre indépendance et notre libre décision ». Or, ajoute-t-il, « la Syrie était et restera libre et souveraine et n’acceptera jamais la soumission ni la tutelle, chose qui a dérangé l’Occident et le dérange encore ». Un Occident qui, a répété Bachar, doit cesser de financer, d’armer ou d’abriter les bandes qui sèment le chaos et la mort en Syrie.
Ce dernier point est la condition première du plan de paix qu’a proposé le n°1 syrien : une fois que les « bienfaiteurs » étrangers des bandes armées se seront solennellement engagés à suspendre leur aide, et que les activistes auront accepté de suspendre leurs opérations et de permettre aux déplacer de regagner leurs ville et villages, alors l’armée syrienne cessera le feu, prête à répliquer à la moindre agression. Bachar veut naturellement une instance de surveillance du cessez le feu. Et des frontières, une manière de rappeler que la rébellion serait bien diminuée sans les complicités turques et jordaniennes.
Ensuite, et ensuite seulement, pourra débuter le « dialogue national » avec le gouvernement – et le président – en place. Un référendum sur l’adoption d’une « charte nationale » proclamant l’unité et la souveraineté du pays, puis de nouvelles élections législatives débouchant sur la constitution du gouvernement le plus élargi possible, devraient permettre de donner une fondation populaire incontestable et une nouvelle légitimité à cette nouvelle Syrie. Alors viendra le temps de la reconstruction, non seulement des infrastructures mais aussi de la société syrienne, via une « conférence de réconciliation nationale » et une large amnistie.
Ce plan a évidemment bien peu de chance d’être seulement discuté, les ennemis, syriens et étrangers, du gouvernement étant ce qu’ils sont. Mais Bachar a voulu rappeler se conditions, et prouver aux yeux du Monde l’intransigeance de ses ennemis.
Un message qui porte au-delà des frontières syriennes
On peut être certain que Bachar, en prononçant ces mots relatifs à la souveraineté nationale, s’adressait bien au-delà du peuple syrien, prenant à témoin l’opinion arabe, et même internationale, lui disant en quelque sorte et en substance : « Je défends ici et maintenant le principe de la souveraineté syrienne face au diktat et aux manœuvres d’un club d’impérialistes (et d’anciens colonisateurs) et, ce faisant, je me bats pour vous tous ». Un message implicite qui peut éveiller des échos du monde arabe à l’Amérique latine, en passant par l’Afrique noire. Sans oublier la Chine, l’Inde ni bien sûr le monde slave, bref tous ceux qui ont été confrontés directement ou obliquement, militairement, diplomatiquement ou économiquement aux velléités hégémonistes des promoteurs du « Nouvel ordre mondial ». Bachar n’a du reste pas manqué de remercier la Russie et la Chine pour leur action passée et à venir.
Et Bachar ne s’est pas privé de faire vibrer une corde toujours sensible dans le monde arabe : « Pas de renonciation aux principes et aux droits, a-t-il martelé, et celui qui a parié sur l’affaiblissement de la Syrie pour qu’elle oublie son Golan et sa terre s’illusionne, Le Golan est à nous et la Palestine est et restera notre cause. » Un rappel du fait que la Syrie a accueilli, après 1967 et 1973, des centaines de milliers de réfugiés palestiniens et que voici encore un an le Hamas avait des bureaux à Damas, avant que le Qatar ne rachète, comme un vulgaire PSG, le mouvement islamiste palestinien.
Une bonne prestation « technique »
Mais, au-delà de l’exégèse des propos du président syrien, au-delà du fond, qui n’a pas changé – la Syrie ne pliera pas, on dialogue avec qui veut, mais pas avec des terroristes –, il faut, en ces temps de médiatisation de la politique et de la diplomatie, revenir sur la forme de cette communication, sur la mise en valeur de cette parole présidentielle, d’autant plus guettée qu’elle est assez rare depuis le début des événements. Dieu sait qu’on a pu regretter, ici même, un certain « autisme » de la communication syrienne, des maladresses, marginalement contrebalancées par les interventions du représentant de Damas à l’ONU, Bachar al-Jaafari, ou par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Jihad Maqdissi (qu’il ait quitté son poste ne change rien à notre appréciation de son travail passé). Bachar avait dit lui-même dans un entretien à une télévision occidentale que l’État syrien avait perdu la guerre médiatique, mais ne pouvait la gagner eu égard au déséquilibre des forces.
Mais, ce dimanche 6 janvier 2012, le président syrien a réussi une bonne prestation. Il est apparu, lui qui vit sous une pression formidable depuis près de deux ans, dont la vie est menacée, comme calme, maître de lui et de son sujet, souriant même. Pas vraiment le Führer coupé des réalités, terré dans son bunker et sous calmants que nous décrivent trop de journalistes propagandistes. Les téléspectateurs du monde entier ont pu voir au contraire un homme résolu, insensible aux intimidations, et qui assénait – calmement – ses arguments.
Et puis, il y avait aussi, pas de fausse pudeur, la mise en scène, plutôt réussie : Bachar al-Assad s’exprimait devant un gigantesque drapeau syrien composé de milliers de visages – s’agissait-il de vivants ou de « martyrs » ? – et la chose avait « de la gueule ». Les conditions sécuritaires, en ces temps d’attentats aveugles à la voiture piégée, ne permettent plus les gigantesques rassemblements populaires de 2011. Mais le grand amphithéâtre de la Maison de la Culture et des Arts de Damas était bondé de centaines de partisans enthousiastes, qui étaient autant d’ambassadeurs – bruyants pour le coup – de la majorité silencieuse syrienne. Même sur I-Télé on a reconnu que la prestation était techniquement réussie. Et sur sa rivale en désinformation BFM-TV, on a pu entendre Bassam Tahhan, opposant modéré au gouvernement et opposant résolu aux opposants made in Qatar, délivrer une appréciation plutôt élogieuse de la prestation présidentielle.
Ce dimanche, à travers le monde, beaucoup de gens, quoi qu’ils pensent du « cas Bachar », ont vu dans leur téléviseur un président qui avait vraiment une allure d’ « homme d’État ». Un homme d’État qui croit à sa victoire, et ne ressemble pas vraiment à un dictateur aux abois. Et un certain nombre de ces téléspectateurs ont peut-être découvert aussi un résistant à l’impérialisme et au mensonge. Pas une mauvaise opération…