Plus de 10 ans après la crise financière où l’on a assisté à la faillite de la banque d’investissement multinationale Lehman Brothers, les banques sont-elles vraiment plus solides ? Réponses de l’analyste financier Christophe Nijdam.
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Le problème est que la crise économique que nous traversons est bien plus sévère que celle de 2008 [le gouvernement table sur un repli de 11 % du PIB en 2020, contre un repli de 2,9 % en 2009, ndlr]. On a arrêté complètement la moitié de l’humanité pendant 3 mois, c’est historique ! Et la reprise sera fragile tant que nous vivrons avec le virus. À ce stade, le Mécanisme de supervision unique de la Banque centrale européenne (BCE) estime que les créances douteuses, c’est-à-dire les prêts non remboursés, pourraient atteindre, en zone euro, 1400 milliards d’euros d’ici fin 2021, contre 500 milliards d’euros à fin décembre 2019. C’est du jamais vu, ni même du jamais envisagé. Pour son dernier test de résistance périodique fin 2018, l’Autorité bancaire européenne (EBA) avait retenu comme hypothèse 750 milliards de crédits non remboursés. Et les prévisions de la BCE datent d’avant l’accélération de la seconde vague du Covid et des reconfinements qui viennent d’être annoncés...
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Le problème de la consolidation est que dans certains pays, notamment en France, le secteur bancaire est déjà extrêmement concentré. La France est vice-championne du monde des banques systémiques, avec 4 banques (Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole et BPCE) sur les 30 établissements listés en novembre de chaque année par le Conseil de stabilité financière. Un mariage entre BNP Paribas et Société Générale ne résoudrait donc pas le problème de l’aléa moral, mais l’aggraverait. Avec un bilan de 2600 milliards d’euros pour BNP Paribas et de 1500 milliards pour Société Générale à fin juin 2020, ces deux banques tiennent déjà individuellement l’État français en otage. En fusionnant les deux, vous créez un monstre de 4100 milliards d’euros [soit près de deux fois le PIB de la France, ndlr]. Dans d’autres pays, comme en Allemagne où il y a plus de 1500 banques locales, consolider pourrait par contre avoir du sens pour créer des synergies, faire des économies de fonctionnement et augmenter la rentabilité des banques, donc leur capacité à dégager des fonds propres.
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[Les banques seront r]enflouées par l’État ou soutenues par la Banque centrale européenne. D’ores et déjà, les banques sautaient sans l’intervention de la BCE en mars 2020 qui a prévu d’injecter 1300 milliards d’euros pour lutter contrer la crise du Covid-19. Or, il est impossible de les laisser faire faillite car leur chute mettrait en péril le système bancaire mondial. Dans un monde normal, n’importe quelle banque devrait pouvoir faire défaut. Elle serait rachetée par un concurrent. Les épargnants seraient couverts si besoin par la garantie des dépôts. Ses actionnaires perdraient leur investissement mais c’est un risque inhérent au système capitaliste. Ce qui est déplaisant, je trouve, c’est que 12 ans après la faillite de Lehman Brothers, certains établissements tiennent encore en otage les États à cause de leurs tailles systémiques.
La crise financière de 2008 a permis aux autorités de prendre conscience de la problématique des banques systémiques, d’où la publication chaque année d’une liste mondiale des établissements concernés. En revanche, on n’a pas tout fait pour faire en sorte que les banques maigrissent. Il aurait fallu, entre autres solutions, séparer les activités de marché des activités de banque de dépôt.
Oui, en théorie, [il faudrait scinder les banques pour réduire le risque]. Mais, dans la pratique, cela n’arrivera pas, malheureusement. Il y avait eu une fenêtre de tir pour ce faire fin 2012 avec le projet de loi bancaire porté par Pierre Moscovici, alors ministre de l’Économie, qui s’est finalement avéré être une mascarade. Tant que les politiques et les régulateurs seront « capturés » par le lobby bancaire, une telle solution ne verra point le jour et c’est le même dilemme au niveau européen qui a fait que le projet de séparation porté par l’ancien commissaire européen Michel Barnier début 2014 a été définitivement enterré par son successeur fin 2017.
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