À l’occasion de la rediffusion de la série de 6 documentaires très pédagogiques sur le Capitalisme, le téléspectateur attentif aura remarqué une personnalité peu connue du grand public.
- Greenspan
C’est pourtant elle qui est à l’origine de la conceptualisation de l’individualisme outrancier qui sévit désormais dans tous les pays ravagés par le Grand Marché. Et c’est elle qui a inspiré son élève, Alan Greenspan, futur directeur de la Réserve Fédérale, la banque centrale américaine. Une importance considérable dans la construction et la logique mortifère du néocapitalisme contemporain.
Pourtant, Ayn Rand n’est pas une économiste, elle est philosophe et romancière. Mais elle a été très loin dans la conceptualisation de l’individu capitalistisé. Quand on sait que des penseurs de toutes les disciplines se rencontraient déjà dans les années 1920 aux États-Unis pour parler de la meilleure façon de façonner des masses rétives, attachées à leur culture artisanale, familiale, horizontale... pour en faire des individus consommateurs, déconnectés de toute transcendance, des valeurs qui ont fait leurs preuves, de leurs habitudes ancrées dans une longue tradition, dans une conception du temps, de la relation à l’autre, à Dieu plutôt qu’à la marchandise...
C’est grâce au minage des structures traditionnelles, familiales et professionnelles que Rand pourra venir finir le travail et ériger l’individu – et sa religion individualiste libérale – en dieu pour lui-même et pour les autres... perdants.
« Je suis avant tout la créatrice d’un nouveau code moral qu’on a cru impossible jusqu’à présent, à savoir une morale qui n’est pas basée sur la foi, pas sur le caprice arbitraire, pas sur l’émotion, pas sur un décret arbitraire, mystique ou social, mais sur la morale, une morale qui peut être prouvée par la logique. [...] Ma morale est basée sur la vie de l’homme en tant qu’étalon de valeur. »
On comprend dès lors qu’il n’y a plus de transcendance, et les forces du désir de l’individu-roi peuvent être libérées, puis exploitées... Rand, de sa voix de sorcière disneyenne, poursuit :
« Et puisque l’esprit de l’homme est son moyen de survie fondamental, je soutiens que si l’homme veut vivre sur Terre, et vivre en tant qu’être humain, il doit tenir la Raison pour un absolu. »
Jusqu’ici, rien que de très kantien. La pointe arrive :
« Je veux dire par là qu’il doit considérer la raison comme son seul guide pour l’action et qu’il doit vivre d’après le jugement indépendant de son propre esprit, que son but le plus élevé est la réalisation de son propre bonheur. »
La théorie sadienne appliquée au social dans toute sa splendeur, où le dominant peut exploiter, consommer du dominé...
« Que chaque homme doit vivre comme une fin en soi et suivre son propre intérêt personnel rationnel. »
Traduction : adieu structures collectives (syndicats, défense du Travail, réseaux de solidarité), adieu transcendance (Dieu est mort en une phrase), et bonjour liberté absolue... dans la jungle de chacun contre tous et de tous contre chacun. Il n’y a plus d’amour, seulement des rapports de classes, de races et de forces. Malheur aux vaincus de la guerre économique riches/pauvres.
Le journaliste, qui s’inspire d’une critique de l’hebdomadaire Newsweek, accuse Rand de vouloir « détruire presque tous les édifices du mode de vie américain contemporain ». Pourtant, en 1959, le mal est déjà fait, et la société américaine, telle une locomotive, est lancée à 150 à l’heure vers le mur de la paupérisation et de la désocialisation de la majorité. Mais aussi de la fabrication du plus grand nombre de millionnaires et de milliardaires que la Terre ait jamais connu. Il y a eu manifestement transfert de richesses... du pseudo individu-roi aux vrais rois des individus !
Rand, après la question du journaliste sur les valeurs (Dieu et les Autres à la 4’31), dévoile tranquillement le projet oligarchique (mais pas sa finalité), et l’assume. Certains parleraient d’un changement de paradigme sociétal, d’autres de projet luciférien. Rand, qui semble vouloir détruire cette morale qui permet aux hommes de vivre ensemble, professe au fond une morale venue de loin, de très loin, une morale qui préside aujourd’hui à l’idéologie mondialiste conduite par ses agents : les agents du Diable.
Ne ratez pas la réponse de la sorcière à 6’44, et le chapelet d’inversions accusatoires qui suivent. Si là on n’est pas dans un combat eschatologique entre le Bien et le Mal...