Texte extrait d’un entretien accordé le 16 janvier 2015 par l’économiste Mikhaïl Khazine, membre permanent du Club d’Izborsk, au magazine Business Online (Бизнес-Онлайн). Il nous fait part de l’émergence d’un phénomène récent dans l’entourage immédiat du président Poutine. Et nous permet d’acquérir une perception plus affinée des enjeux. Avec en toile de fond la question récurrente dans toutes les évaluations de la situation : Vladimir Vladimirovitch Poutine parviendra-t-il à se maintenir en fonction jusqu’au bout de son mandat ?
Poutine ne se débarrasse pas de l’élite libérale, dans la mesure où elle contrôle de façon directe un flux de centaines de milliards de dollars. Si on commence à balayer ce groupe, alors il s’agira du remplacement complet de ceux qui maîtrisent des flux financiers sous le trillion de dollars. Vraisemblablement, pas un seul oligarque ne resterait. Tout changerait.
Tout d’abord, Poutine n’est pas convaincu qu’il puisse maîtriser une telle situation. En outre, il s’agit de personnes avec lesquelles il collabore depuis quinze ans. Et pour lui, éliminer des gens proches, c’est un drame psychologique féroce. Mais je suis habité par la conviction intime que s’il ne s’y résout pas, c’est qu’il doit se préparer à sa propre fin. Le comprendra-t-il ?
Aujourd’hui, Poutine est entouré de trois groupes. L’un veut préserver à tout prix le système du dollar, simplement parce que s’il éclate, il ne restera plus rien de ce groupe de gens incapables de faire quoi que ce soit d’autre, incapables de s’occuper de business. Ils se sont simplement trouvés au bon moment au bon endroit, et les Américains les ont fait monter car ils sont faibles et manipulables. Et ils comprennent parfaitement qu’après la crise, ils seront tout simplement incapables de survivre et de préserver leurs actifs et leurs capitaux.
Le deuxième groupe ne possède pas tant d’argent, mais brûle d’en acquérir. Ce qui est plus important, ce sont leurs ressources. Elles ont la forme du mécontentement social, provoqué et alimenté, entre autre, par des instructeurs pro-américains. Ce groupe s’efforce de faire pression sur les États-Unis pour que ceux-ci annulent immédiatement les sanctions, afin d’acquérir de la technologie étrangère en échange de nos actifs. Les meneurs de ce groupe, nous ne les voyons pas personnellement, car ils ne peuvent expliquer cela ouvertement.
Le troisième groupe considère que la Russie ne doit accorder aucune attention aux États-Unis et construire elle-même son propre système. Deux personnages importants en font partie : Loukachenko et Nazarbaïev.
Aujourd’hui, le deuxième et le troisième groupe sont unis contre le premier. Mais s’ils viennent à vaincre, leurs divergences éclateront… à propos du moment et de l’objet des négociations avec les États-Unis.
Il ne s’agit donc pas vraiment d’un conflit entre les siloviki [1] et les libéraux, d’ailleurs, une partie des siloviki sont tout à fait libéraux. En l’occurrence, le libéralisme correspond à une activité concrète : l’exécution des instructions du FMI. Aujourd’hui, les partis sont prêts à aller jusqu’à un certain niveau de conciliation avec les États-Unis. Par exemple, le principal protecteur de haut niveau de Nabioullina n’est autre que Sergueï Ivanov. Il ne s’agit pas d’un libéral au sens classique du terme, mais il ne veut pas secouer la barque.
Dmitri Medvedev est apparenté, sous conditions, au premier groupe. Ce n’est pas du tout un politicien indépendant. Mais il n’est pas facile de dire aujourd’hui quel politicien appartient à quel groupe. La distinction entre groupes est un phénomène récent, apparu lorsqu’il fallut comprendre que les États-Unis ne fourniraient plus de ressources.