Le gouvernement américain a estimé lundi que les élections législatives syriennes ont "frôlé le ridicule" . En tous cas, ce qui n’était pas ridicule, c’était l’affluence dans nombre de bureaux de vote : même le correspondant de l’AFP à Damas a indiqué que dans les quartiers populaires de Douela et Tabanneh les électeurs "se massaient pour voter" .
On ne connait pas encore les chiffres de la participation. Il est certain qu’elle a dû être inégale selon les secteurs, l’opposition radicale ayant appelé à une grève-boycott de la consultation. Mais, si l’on a certainement peu voter dans des quartiers de Homs dévastés et gangrénés par les débris des bandes comme al-Khaldeeye, on a voté à Idleb, ou à Hama. Et dans la majeure partie de Homs, d’ailleurs.
Pas ridicule non plus l’affluence des médias étrangers venu couvrir ce « non événement » : plus de 200.
Enfin, en se déplaçant semble-t-il nombreux, les Syriens ont bravé, n’en déplaise à Washington, moins le ridicule que le terrorisme, les bandes armées ayant déjà procédé à l’assassinat de candidats à ces législatives. Le jour du vote, 14 « civils » et trois militaires ont encore péri dans les violences selon l’OSDH. Mais, apparemment, les groupes radicaux n’ont pu perturber significativement le scrutin.
On ne s’étonne pas de la réaction méprisante des États-Unis, qui savent au fond que ces élections législatives, après le référendum de février sur la modification de la constitution, vont « mécaniquement » apporter un surcroît de légitimité au gouvernement de Bachar al-Assad. On ne s’étonnera pas d’avantage, mais on haussera plus nettement les épaules, du commentaire – un des derniers – du « caniche » français d’Hillary Clinton, Alain Juppé qui, dans un communiqué du Quai d’Orsay parle de « farce sinistre ».
Pas de surprise non plus du côté de Ban Ki-moon qui s’est fendu d’un commentaire moralisateur, selon lequel « le processus démocratique ne pourra pas réussir tant que la violence continuera« . Mais la violence vient très majoritairement des groupes rebelles qui se moquent du cessez-le-feu, et s’il fallait attendre leur bonne volonté, il y a fort à parier que les élections n’interviendraient pas de sitôt !
Ce qui est d’ailleurs dans leur logique de révolution violente. Mais Ban Ki-moon, qui a laissé dévoyer par l’OTAN la volonté des Nations-Unies dans l’affaire libyenne, n’est pas dans cette logique. Il n’est pas non plus dans la logique d’apaisement qui est en principe celle de son émissaire en Syrie Kofi Annan : il choisit à nouveau la carte de la dramatisation comme en témoigne ses propos du 7 mai : « Nous sommes engagés dans une course contre la montre pour éviter une véritable guerre civile avec des victimes civiles en grand nombre« .
Parler de guerre civile, pour le secrétaire général de l’ONU, revient à reprendre les termes de la propagande euro-américaine : il s’agit
1) de faire croire que la société syrienne est coupée en deux, alors que l’opposition islamisante et extrémiste qui n’a fait sortir dans la rue, depuis un an, que plusieurs dizaines de milliers de manifestants – sur une population de 23 millions – est à l’évidence très minoritaire.
Et 2) que le chaos et la contestation violente gagnent en ampleur, et que donc la situation échappe de plus en plus au pouvoir, justifiant par là-même une éventuelle intervention otanesque : une analyse en contradiction non seulement avec la réalité de terrain, les bandes armées ayant subi nombre de revers ces dernières semaines et étant plus que jamais incapables de tenir réellement et durablement une ville syrienne, mais en contradiction aussi avec les propos de responsables de la mission d’observation de l’ONU en Syrie, à commencer par le général Mood qui a dit et répété que le déploiement des premiers bérets bleus avait déjà contribué à faire baisser le niveau de violence dans le pays !
Ban Ki-moon a dans la foulée accusé une nouvelle fois le gouvernement syrien « d’agresser son peuple« . Mais, car malgré tout, au poste où il est, on ne peut pas continuellement dire que « blanc » c’est « noir », il a reconnu aussi que les attaques de l’opposition armée s’étaient « intensifiées » : la réalité est telle, en Syrie, qu’elle contraint les Tartuffe de la diplomatie à lâcher un peu de lest, de loin en loin…
Au fait, il n’est pas indifférent de savoir que l’ineffable patron de l’ONU a tenu ces propos non pas devant l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité des Nations-Unies, mais lors d’un dîner de gala ce que Le Monde et l’AFP présente comme un « institut de recherches » américain, l’ »Atlantic Coucil« . Un simple coup d’oeil à la fiche Wikipedia permet d’apprendre que cet « institut » se définit lui-même comme un cercle de pensée et d’influence, basé à Washington, dont le but est de « promouvoir un leadership et un engagement constructifs des États-Unis dans les affaires internationales, fondés sur le rôle central de la communauté atlantique dans les défis internationaux du XXIe siècle« . Bref, Ban Ki-moon dit ce qu’il dit devant une annexe de l’OTAN et du Département d’État. Dis-moi devant qui tu parles, je te dirai pour qui tu travailles !
Nous savons depuis longtemps que M. Ban Ki-moon est contre la Syrie telle qu’elle est. Mais il travaille objectivement, aussi, et c’est plus ubuesque, contre son émissaire Kofi Annan et le plan de paix de l’ONU ! Kofi Annan qui doit, justement, présenter ce mardi devant le Conseil de sécurité de l’ONU une première évaluation de l’application de son plan de paix. Plan de paix dont son porte-parole a dit vendredi à Genève qu’il était « sur les rails » en Syrie ! Mais peut-être M. Ban Ki-moon préfère-t-il un « plan de guerre » (comme en Libye)…