En politique, la « transparence » semble aujourd’hui devenue une vertu en soi, et les « lanceurs d’alerte » sont en passe de devenir des héros. On vient de le voir à nouveau avec l’affaire des « Panama Papers ». Faut-il s’en féliciter ?
Lors de son tout premier Conseil des ministres, le 17 mai 2012, François Hollande avait fait adopter une « charte de déontologie » qui stipulait que « le gouvernement a un devoir de transparence ». Un an plus tard, en février 2013, un projet de « moralisation de la vie publique » faisait obligation aux ministres de publier leur patrimoine, c’est-à-dire de donner le détail de leurs biens, d’indiquer s’ils avaient fait des emprunts, s’ils avaient hérité, possédaient des actions, seuls ou avec leur femme, etc. Ce projet était en fait parfaitement inutile, d’abord parce qu’il n’empêchait pas le mensonge, ensuite parce qu’il exposait les intéressés à une curiosité malsaine, plus intéressée à connaître le montant des patrimoines qu’à en connaître l’origine.
Outre que l’intégrité n’a jamais été un gage de compétence politique, la politique ne saurait évidemment se réduire à ce genre de démarches qui reviennent à croire que la morale publique peut être calquée sur le modèle de la morale privée. C’est, en outre, parfaitement contre-productif, car à nourrir la suspicion sur les hommes politiques, on ne fait que renforcer le sentiment populiste qu’ils sont « tous pourris ».
Beaucoup de choses mériteraient, bien entendu, d’être rendues plus transparentes, à commencer par le financement des partis, le fonctionnement des institutions ou les opérations de la finance internationale. Mais la transparence ne peut viser que certains domaines. Quel gouvernement accepterait, au nom de l’idéal de transparence, de rendre public ce qui relève du secret défense, du secret diplomatique ou de la recherche sur l’innovation ? Le résultat est que l’hypocrisie est la règle. Un seul exemple : à la suite des révélations des « Panama Papers », l’avocat chilien Gonzalo Delaveau, convaincu d’avoir placé de l’argent sur un compte offshore non déclaré, a été obligé de remettre sa démission. Or, ce Delaveau était le président de « Chile Transparente », branche chilienne de l’organisation Transparency International !
Mais d’où vient cette idée de « transparence » ?
L’obsession de la transparence se situe dans le droit fil d’une philosophie des Lumières qui prétendait éclairer les coins sombres pour faire disparaître les « superstitions d’un autre âge ». Elle a aussi quelque chose de protestant, dans la mesure où elle cherche à faire disparaître les intermédiaires à la façon dont la Réforme a voulu abolir tous les cadres institutionnels susceptibles de faire écran entre le fidèle et son Dieu. Enfin, l’un des grands principes de la « société ouverte » telle que la rêvent les théoriciens libéraux est que toutes les informations doivent, à l’instar des marchandises et des capitaux, circuler sans entraves pour être accessibles à tous. La transparence devient ainsi une sorte de loi supranationale qui peut justifier n’importe quoi – ce qui ne l’empêche pas de relever de l’empire du bien. Comme le disait Jean Baudrillard : « Aujourd’hui, décidément, il faut se battre contre tout ce qui vous veut du bien ! »