Cessons de glorifier le « suicide romain », qui offre la flambloyance criarde, rutilante et vulgaire d’une fin hollywoodienne mal scénarisée : cette façon de s’infliger la mort avait un sens quand elle représentait avec éclat le dénouement de l’héroïsme pré-christique.
On ne peut logiquement pas tout sacrifier sur la longue durée dans une optique proprement christique et avaler des cachetons ou se défenestrer dans un élan de violence retourné contre soi. Le geste est archaïque, barbare, anté-christique, au sens chronologique et moral : Jésus ne s’est pas suicidé, il a été supplicié ; Mahomet ne s’est pas suicidé, il a été empoisonné ; les Palestiniens ne se suicident pas car il savent que le véritable héros combat le mal, pas la vie, qu’il abandonne à son bourreau l’opprobe de la mise à mort.
Alors de 2 choses l’une : soit on est un héros exemplaire au sens christique et on meurt sous les coups (ce qui n’est même pas certain), parce que la vie est le don que l’on a reçu et non la propriété dont on dispose, soit on attente à sa vie comme un légionnaire romain pré-chrétien, sachant que les gars s’enculaient, ce qui devrait limiter à un registre poétique l’admiration qu’on leur porte.
Projeter son suicide invalide l’héroïsme : Socrate et sa gorgée de cigüe, c’était noble car antérieur à Jésus. Le monde post Révélation sacralise la vie et sanctuarise le corps : un vrai héros ne saurait raisonner comme au temps zéro. Dans mon entourage une femme qui a attenté ses jours, est revenue de son comas, et m’a dit : « Je ne referai jamais ça. Pas parce que la vie me tente mais parce que j’étais au milieu d’un enfer tellement indescriptible et mon âme flottait dans une zone si infernale que j’avais hâte de me réveiller. » Cette femme revenue du suicide a continué à vivre sans conviction, dans une profonde dépression.
Jusqu’au jour où elle a croisé Alain Soral dans la rue, à Saint-Germain-des-Prés : « Il beau, il est poli. Il y a une lumière qui émane de lui ». Cette personne a recommencé à sourire le jour de cette brève rencontre providentielle. J’avais même dû la jeter dehors. Elle sautillait comme un pinçon unijambiste.
Les personnes vulnérables et croyantes détesteraient apprendre que Alain Soral a porté si noblement les valeurs de l’esprit, pour finir ainsi. Le suicidé est l’antithèse du héros. Parce qu’il allie spectacularité ostentatoire du geste et illusion de maîtrise, le suicide est l’ultime avatar du mauvais goût : de l’art contemporain.
Répondre à ce message