C’est Le Monde qui envoie une seconde grenade – après celle de la grande famille Duhamel-Kouchner-Pisier – dans le marigot du showbiz : le producteur Gérard Louvin, dont tout le monde connaissait le pedigree dans le monde de la télé, et forcément à TF1, est visé, avec son conjoint Daniel Moyne, par une nouvelle série de plaintes pour agressions sexuelles et viols. Les hommes qui ont témoigné, ayant atteint aujourd’hui la mi-quarantaine, déclarent qu’ils ont été agressés ou abusés alors qu’ils étaient encore mineurs, l’un d’eux de 10 à 18 ans.
Olivier A., aujourd’hui âgé de 48 ans, n’est désormais plus le seul à avoir saisi la justice. Outre le neveu, quatre autres hommes ont déposé des plaintes – que Le Monde a consultées – par le biais du même avocat, Me Pierre Debuisson, fin janvier et début février, auprès du procureur de Paris, dénonçant des agressions sexuelles et des viols et mettant en cause le couple Louvin-Moyne. Les différents témoignages et éléments recueillis par Le Monde dessinent un système au schéma répétitif, ayant concerné plusieurs jeunes garçons dont certains ont accepté de témoigner.
Le Monde, qui a eu accès à ces témoignages, détaille le modus operandi des deux producteurs :
Outre ces nouvelles plaintes, selon nos informations, un autre homme, entendu par la police en juin 2014, avait déjà confirmé les accusations d’Olivier A., qui affirme avoir été violé régulièrement, de ses 10 ans jusqu’à la fin de son adolescence, par Daniel Moyne, au vu et au su de son oncle. Cet homme, Thomas – son prénom a été modifié –, copain d’enfance d’Olivier A., a déclaré avoir subi les mêmes actes que le neveu.
Au milieu des années 1980, alors qu’il avait une dizaine d’années, Olivier A. affirme que son oncle Gérard et Daniel, son compagnon, lui demandaient régulièrement d’inviter des copains chez eux. Il dit avoir subi à cette époque les premières masturbations et fellations de la part de Daniel Moyne. Le neveu assure qu’assez vite après ces premiers viols, un de ses copains d’enfance, Thomas, participe lui aussi à ces scènes, au domicile des producteurs. « J’ai compris plus tard qu’ils se servaient de moi comme d’un rabatteur », dit Olivier A., avec le recul, même s’il n’aime pas ce mot.
Le scénario est toujours le même, chez les prédateurs d’enfants ou d’adolescents : les apprivoiser, les utiliser sexuellement, puis les jeter (et ce rejet se passe très mal, entre drogue, suicide, et parfois pire, on le verra dans un grand dossier E&R à venir). Pour les apprivoiser, rien de plus facile : on fait partie du showbiz, on a de l’argent, on brille.
Thomas explique alors aux policiers que ce fut d’abord Daniel Moyne qui profita de lui, alors qu’il avait 13 ans. Puis, un peu plus tard, vers ses 15 ans, ce fut au tour de Gérard Louvin. Parfois, les deux adultes et les adolescents participaient ensemble à des scènes sexuelles. Dans ses souvenirs de jeune adolescent, Thomas garde l’image que tout cela était formulé sous forme de jeux. Comme si tout était normal. Et puis il y avait aussi les arrivées en hélicoptère à Saint-Tropez, les cadeaux offerts par Gérard et Daniel, un côté paillettes du « show-biz » qui éblouissait le gamin.
« Thomas » regrette d’avoir témoigné si tard :
Aux policiers, il expose ses regrets d’avoir couvert les deux hommes si longtemps. Selon nos informations, Thomas n’a pas porté plainte contre le couple Louvin-Moyne.
« Il s’agit de relations totalement consenties avec un jeune majeur qui a fait l’objet d’une enquête classée », répond au Monde Christophe Ayela, l’avocat de Gérard Louvin. La procédure a en effet été classée sans suite par le parquet de Paris, le 5 septembre 2016, pour cause de prescription. Le conseil insiste, mails à l’appui, sur le fait que Thomas et son client « sont restés très proches et en bonne entente ».
Cette « entente » s’explique par la soumission et l’attachement de la victime à son prédateur, tous les spécialistes du viol savent ça. Le schéma est le même quand il s’agit d’inceste : l’enfant protège, malgré lui, le père. Ou la mère, car la pédophilie maternelle n’est pas rare, au contraire. Elle est plus diffuse, c’est encore un tabou.
Les accusations s’accumulent donc sur le dos de ces deux personnalités du showbiz, et beaucoup de leurs coreligionnaires doivent trembler, car la pédophilie, comme à Hollywood, a été au cœur de la télé française des années 80-90. Là aussi, nous en reparlerons, autant profiter du croisement des mouvements MeToo appliqués à toutes les victimes possibles.
Louvin et Moyne reconnaissent des relations homosexuelles « consenties » (des deux côtés, évidemment), mais il y a des témoignages qui ne mentent pas, par exemple celui de Grégory.
Grégory C., lui, n’a jamais été entendu par la police concernant ses relations avec les producteurs. « Mille fois », il a pensé porter plainte contre Gérard Louvin et Daniel Moyne. Presque autant de fois, raconte-t-il au Monde, il a élaboré ou rédigé des lettres à leur attention, pleines de haine et de mépris pour ces deux hommes qui ont, dit-il, brisé sa vie. Il ne les a jamais envoyées. La révélation de la démarche judiciaire d’Olivier A., mi-janvier, a été pour lui un soulagement. Fin janvier, il a contacté Pierre Debuisson et porté plainte contre le couple de producteurs pour des « viols répétés ».
Son récit montre comme des prédateurs exploitent les fragilités d’un enfant, ou d’un adolescent, ses besoins affectifs et son désir de plaire.
Dans son récit, Grégory C. a environ 13 ans lorsqu’il rencontre pour la première fois Daniel Moyne, en banlieue de Grenoble, à l’occasion d’un dîner chez la famille d’un copain d’école, Guillaume – son prénom a été changé –, présenté comme le « neveu » de Moyne. Grégory est la « victime parfaite », selon ses propres mots : son père vient de mourir d’un cancer, sa mère en plein deuil doit s’occuper de lui et de sa sœur. « Très vite, Daniel Moyne s’est positionné comme un père de substitution, se remémore Grégory C. J’ai plus que bu ses paroles, je les ai embrassées. Ma mère n’a pas vu le danger, Daniel Moyne avait tout à fait les mots pour rassurer une jeune veuve. »
À une autre époque, de jolis enfants de pauvres étaient achetés, en douceur, par des familles riches. Aujourd’hui, suivant l’exemple de Jimmy Savile en Angleterre, ce sont les paillettes du showbiz qui attirent les petits papillons qui finissent dans les toiles de grosses araignées. Et si pour certains, comme Finkielkraut, à 13 ans on n’est plus un enfant, on aimerait voir ceux qui disent ça face à leur enfant qui avoue avoir été agressé sexuellement à 13 ans...
Daniel Moyne commence à inviter le garçon à Paris. Grégory se souvient de la conduite en Mercedes dans les rues de la capitale, des « blousons en cuir de chez Mac Douglas » offerts. De la maison des producteurs à Sèvres (Hauts-de-Seine), aussi : « Guillaume et moi, on avait une chambre à part. On découvrait le luxe, c’était une très belle maison avec des disques d’or aux murs, un juke-box… » À l’heure du coucher, il y a ces caresses de Daniel Moyne, raconte Grégory. Puis les fellations. « Très vite, Guillaume a été incorporé aux jeux sexuels. Mais pour résumer, j’étais plutôt la chasse gardée de Daniel Moyne et Guillaume celle de Gérard Louvin. » Contacté, Guillaume n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.
Si les victimes parlent si tard, c’est que la conscience ne vient pas d’un coup. C’est souvent à l’âge adulte, quand on a soi-même des enfants, qu’on découvre l’anormalité des choses.
Grégory garde en tête des « scènes » violentes de sodomie. Il en conserve des tocs qui lui pourrissent encore la vie. Pourquoi a-t-il accepté de subir si longtemps les abus sexuels qu’il décrit aujourd’hui ? « Pour moi, Daniel, c’était devenu mon père de substitution et s’il fallait accepter de se faire sodomiser pour garder mon père de substitution, ce qu’il avait tout à fait compris, je l’ai fait, j’ai accepté. C’est un cheminement de manipulation de l’affect. »
Les garçons racontent tous ce cheminement vers l’enfer, vers un esclavage sexuel qui ne dit pas son nom, et tout cela sans violence, car la violence peut mettre la puce à l’oreille. D’ailleurs, dès que des garçons se braquaient, les approches cessaient. La violence elle est surtout pour les pauvres qui sont amateurs d’enfants, et qui n’ont pas les moyens matériels ou culturels de subjuguer ou d’acheter leurs victimes.
Avec Daniel Moyne et Gérard Louvin, il découvre un monde qu’il ne connaissait pas. Les producteurs lui font miroiter des perspectives d’acteur ou de mannequin, le couvrent de cadeaux. « On était, sans le savoir, achetés », analyse l’ancien adolescent ébloui. De tout cela, il ne parlera à sa sœur, puis à sa mère, que des années après. Pendant longtemps, les liens familiaux ont été abîmés par ce lourd secret. « Ce qu’elles avaient sous leurs yeux, ce n’était plus leur fils et leur frère, mais un garçon qui n’arrêtait pas de mentir. »
La partie d’en face se défend. On parle de « cabale », de surfer « sur une vague », une espèce de MeToo anti-people, ou anti-pédophiles prétendus.
« Cette prétendue ambiance chez Glem ne concerne en rien Gérard Louvin, il n’y avait pas de climat mais des gens qui travaillaient », indique au Monde Me Ayela, qui dénonce « des rumeurs, des calomnies d’une ou deux personnes qui surfent sur une vague ». Au sujet d’une ambiance « très sexualisée » chez Glem, Daniel Moyne a fait savoir au Monde qu’il travaillait, avec son compagnon, « comme des acharnés, en respectant chacun de nos collaborateurs. Le travail avant tout. Je ne m’explique pas cette cabale dont nous sommes victimes. Les personnes qui nous accusent ne réalisent pas l’ampleur des dégâts qu’elles sont en train de causer. Leur seul objectif est de ruiner notre réputation en nous imputant des agissements immondes.
Nous n’allons pas recopier toute l’enquête du Monde, mais elle ouvre à un moment donné sur quelque chose de plus large : les associations de défense des enfants du Sud-Est asiatique, sources de bien des convoitises...
Un épisode montre que les soupçons visant le couple Louvin-Moyne sont anciens. Au milieu des années 1990, Gérard Louvin s’investit pleinement dans une association, Enfants d’Asie, qui parraine des filles et des garçons défavorisés de ce continent. De 1995 à 1997, le producteur – qui a lui-même adopté, en 1992, un Cambodgien né six ans plus tôt – en est le président. Mais après deux ans à la tête de l’association, Gérard Louvin doit quitter la présidence, à la demande des membres du conseil d’administration. En cause, des « rumeurs » tenaces de pédophilie.
Le mot de la fin à « Grégory », qui a eu le courage de témoigner, envers et contre tout, et surtout contre un milieu qui a les moyens d’acheter les silences.
Au-delà d’éventuelles conséquences judiciaires, incertaines au vu de l’ancienneté des faits dénoncés, Grégory C., comme d’autres plaignants que Le Monde a rencontrés, dit vivre sa plainte contre Gérard Louvin et Daniel Moyne « comme une libération ». Un moyen, aussi, de se débarrasser, un peu, « de l’héritage immonde qu’ils nous ont légué ». La volonté, enfin, que la frousse et les angoisses se fassent moins pesantes. « Même adulte, les fois où je les ai recroisés, mon palpitant prenait 150 pulsations. Juste de les voir. Je suis un mec, mais je redeviens un enfant de 13 ans, je rentre ma tête dans mes épaules. C’est incroyable, l’impact, aussi bien psychologique que physiologique. Si notre vie de merde, elle peut servir à des jeunes… J’ose croire que ce qu’on fait va servir la société. »
Pourquoi maintenant (30 ou 35 ans après les faits), pourquoi Le Monde (si précautionneux avec la question, et on peut comprendre pourquoi), pourquoi ce nettoyage généralisé alors que tout le milieu sait ou savait, et là on parle de tous les éphébophiles et autres pédophiles du showbiz ?
Ces questions, elles seront vite répondues dans notre dossier sur Pédocriminalité et Politique.