La mise en orbite de la Grande Loge féminine du Cameroun en témoigne : de plus en plus d’Africaines rejoignent les rangs de cet ordre initiatique. Suscitant, comme leurs frères, nombre de fantasmes.
Douala, fin 2017, Hôtel Akwa Palace. De bruyants éclats de rire répondent aux plaisanteries plus ou moins drôles. Les accolades sont ponctuées de compliments sur les tenues des unes et des autres. Cheveux bleu roi coupés court, longue jupe noire en satin duchesse, une femme politique connue comme le loup blanc semble recueillir tous les suffrages d’une assistance fournie – pas moins de 130 participants de 40 délégations venues de tous les continents. Nous sommes à une conférence publique sur la franc-maçonnerie féminine, organisée deux jours avant l’installation de la Grande Loge féminine du Cameroun (GLFC).
Pour les deux oratrices, Marie-Thérèse Besson et Flore Édith Mongue Din, respectivement présidentes de la Grande Loge féminine de France (GLFF) et de la GLFC, il s’agit d’expliquer en quoi « la franc-maçonnerie est un chemin de vie » qui « offre un espace sans enjeu de pouvoir et de suprématie aux femmes soucieuses d’être force de proposition »…
Une institution qui suscite la méfiance
Le propos est abscons, mais le défi, lui, est clair : recruter de nouveaux membres, des profanes, pour une institution que l’opinion publique associe sans discernement à la sorcellerie, l’inceste ou l’homosexualité. Un ordre initiatique que l’on dit aussi pour une large part inféodé aux politiques en place, peu préoccupé de progrès social et de redistribution des richesses. Mais les femmes, moins souvent mises au banc des accusés que les hommes, veulent donner des raisons d’y croire.
Alors pas un mot des divergences de vues qui ont précédé la mise en orbite de la GLFC. Les unes militaient pour une obédience nationale, chaque pays ayant à leur sens des préoccupations spécifiques. Les autres, panafricanistes, auraient préféré une obédience sous-régionale, la Grande Loge féminine d’Afrique centrale, regroupant des fédérations nationales.
Les premières ont eu gain de cause, quelques déçues ont quitté le navire. Les deux présidentes rappellent que l’obédience camerounaise ainsi créée devient partie prenante de ce qui se passe dans le pays. « Elle affirmera davantage ses positions dans des débats publics, précise Flore Édith Mongue Din, pharmacienne de son état, mais pas question de constituer un lobby franc-maçon pour influencer quelque décision que ce soit. » Les franc-maçonnes africaines se voient davantage en lanceuses d’alerte du quotidien.
Sortir de l’ombre
Dans l’assistance, on s’interroge : pourquoi ne dévoile-t-on pas son appartenance à la franc-maçonnerie ? On peut, répond la grande maîtresse, à condition que le contexte s’y prête. Sortir de l’ombre reste une décision personnelle qui dépend aussi de la culture du pays. Or le contexte ne s’y prête pas toujours. Âgée de 55 ans, Annick, la dame aux cheveux bleu roi, a bien pensé faire son « coming out ». « Pour qu’on cesse de croire que nous nous livrons à des activités ou à des pratiques que la morale réprouve. » Mais elle s’est ravisée.
« Les miens pensent que les maçons boivent du sang, dorment dans des cercueils et organisent des parties fines »
Résultat, peu d’Africaines sont capables d’assumer leur vie au sein de la confrérie. Annick est entrée en franc-maçonnerie il y a vingt-cinq ans, après une conférence publique, à une période où, cadre supérieure d’entreprise, elle entamait une carrière politique. « On nous rappelle que cela passe par un travail sur soi. Cela implique de mieux se connaître, d’adopter une démarche personnelle de quête de sens, en dehors de tout dogme politique ou religieux », explique-t‑elle.
C’est par le truchement de son mari que Mireille, une avocate béninoise de 44 ans, a découvert la maçonnerie. Il avait été initié avant elle. Elle a côtoyé ses frères et s’est laissé prendre au jeu, rejoignant le Phare des amazones. Mais cette mère de deux enfants ne se sent pas prête à le faire savoir à son entourage. « Les miens ont une manière si péjorative d’aborder le sujet que toute discussion est stérile. Ils pensent que les maçons boivent du sang, dorment dans des cercueils et organisent des parties fines. »
Mystification intellectuelle
Ancien ministre des Finances sous Omar Bongo Ondimba, Charles Mba est l’un des rares Africains à avouer ouvertement son appartenance à la franc-maçonnerie. Pour ce Gabonais, l’histoire de cet ordre initiatique est tellement récente en Afrique qu’il est difficile de trouver des personnes à un niveau de responsabilité suffisant leur permettant d’en parler librement. Chez les hommes comme chez les femmes.
Et, à ses yeux, démystifier la franc-maçonnerie auprès des populations du continent relève de l’impossible, d’autant que l’inculture des intellectuels à ce propos est abyssale. « D’une manière générale, la maçonnerie africaine souffre d’un climat de mystification intellectuelle, insiste-t-il. D’un côté les maçons veulent duper les profanes, de l’autre, les profanes se laissent berner parce que ça les arrange. »
Le culte du secret des maçons pousse la société à les accabler, ajoute-t-il. « Pourquoi s’exposer alors qu’on sait que l’on ne sera pas compris ? rétorque de son côté Déborah, femme politique au Cameroun. Il y a des combats plus importants que celui pour cette acceptation. Le pays est religieux, et nul n’ignore la position de ses trois principales religions sur le sujet. »