Parfois – souvent même en ces périodes de chaos idéologique – les informations se télescopent et prennent un malin plaisir à désavouer leurs commentateurs. Une pensée solide supporte l’épreuve des faits et du temps, c’est à cela qu’on la reconnait d’ailleurs. Le féminisme, lui, n’en finit pas de se contredire et de se prendre les pieds dans le tapis du réel.
Tout commence avec une histoire d’affiches de la maison Saint Laurent accusées de véhiculer des « images dégradantes » de la femme. Ce qui n’est pas totalement faux, au demeurant. Mais la photo choisie comme exemple et symbole de l’élégance féminine et de l’émancipation des femmes ne laisse pas d’interroger : cigarette à la main (dépendance au tabac et son industrie), taille androgyne (féminité disparue), tenue vestimentaire masculine (comme pour singer l’homme, sans y arriver).
50 ans séparent ces photos
La femme selon @YSL 1967 - 2017 #ShameOnYou #YSLRetireTaPubDegradante @anthonyvacc
cc @Min_FEDDF @MinistereCC pic.twitter.com/Ca9MsaNsRJ— Merete Buljo (@MereteBuljo) 4 mars 2017
Ici toute l’escroquerie du féminisme se dévoile : on échange une domination pour une autre, un avilissement pour un autre.
La féministe pense s’émanciper en arborant une cigarette aux volutes généreuses là où elle s’enchaîne à une nouvelle sujétion et se fait l’esclave d’un commerce morbide (rares sont les bons vivants sachant se limiter aux joies raisonnables du tabac et ses effluves) – relire Edward Bernays.
La féministe pense que sa féminité et tout ce qui l’évoque est un esclavage, et qu’en casser les codes par des habits traditionnels d’hommes (pantalon, cravate) est une libération, alors que c’est en vérité se réduire à pasticher l’homme et souffrir ne jamais pouvoir en être qu’une pâle copie.
La féministe, enfin, voit dans une posture qui relève plus du ridicule et du mauvais goût (bêtement avachie sur un tabouret, les jambes longues et anorexiques probablement photoshopées chaussées de patins à roulettes des années 80’, pour donner un style), voit donc dans cette posture une « publicité qui coche toutes les cases d’une pub sexiste : hyper-sexualisation, femme réduite à un objet, position de soumission... C’est symboliquement très violent » – Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole d’Osez le féminisme.
Alors là, permettez, mais que n’a-t-on vu ou entendu ces féministes se lever contre la prostitution de réseaux, contre la pornographie et les injonctions de la mode qui y sont subrepticement liées ? Car quel progressisme y a-t-il à accepter qu’une femme, même bien payée, s’avilisse à consentir toutes sortes de pratiques enchaînant dans une même scène parfois plusieurs dizaines d’hommes ? À devoir probablement se raccrocher à de biens curieuses substances pour supporter les avilissements répétés de pratiques déviantes qu’on a parfois même du mal à imaginer ? Aujourd’hui, où – pire – ces œuvres rhyparographiques sont accessibles d’un clic à des enfants dont l’âge ne cesse de baisser (9 ans aujourd’hui), est-il moderne et féministe d’en accepter la diffusion et de succomber à ses modes ?
71% des enfants ont accédé à la pornographie avant l’âge de 16 ans
Ainsi, très tôt, en raison du visionnage précoce et répété du porno par les jeunes garçons, ce sont les jeunes filles qui se trouvent confrontées à des pratiques (positions sexuelles, épilation pubienne, etc.) jadis inhabituelles pour leur âge et que leur petit copain exige. Et, bien généralement, elles les acceptent pour ne pas paraître ringardes ou, amoureuses, pour ne pas perdre l’élu de leur cœur.
C’est ici qu’on aurait aimé voir s’exprimer nos féministes, sur la résistance aux injonctions du porno et à la presse féminine complice, plutôt que sur une photographie dont elles accusent la position loufoque du mannequin sans vraiment dénoncer l’exploitation commerciale de la mode. Un peu l’histoire du sage qui montre la lune...
Collision
Et c’est précisément à cet instant de notre raisonnement que cette indignation sélective a télescopé un faits-divers bousculant le landerneau bien huilé du monde de la mode : Maida Boina et Rami Fernandes, deux directeurs de casting pour Balenciaga, seraient des exploiteurs et des sadiques. La belle affaire !
Alors, dans ce monde merveilleux de la mode et de la beauté, il y aurait des salops et des profiteurs ? Ceux-là même qui font défiler parfois, affrontant courageusement tous les racismes, des rondes, des femmes de couleurs, des jeunes trisomiques, des handicapées, des transsexuels ? Ceux-là même qui sont au service de la femme, sa beauté, son élégance et autres paillettes, seraient parfois des tortionnaires qui « font attendre 150 filles dans les escaliers en leur disant qu’il fallait qu’elles y restent trois heures et qu’elles ne pouvaient pas partir » ?
Pourtant c’est la même très progressiste Maida Gregori Boina (voir la photo éloquente ci-dessus), la grande découvreuse de talent, qui participe de la grande mythologie de la mode à laquelle succombe tant d’adolescentes – les chanceuses étant en vérité celles qui auront été recalées.
Derrière cette légende dorée, ne se cacherait-il pas la réalité d’un monde du travail encore plus dégueulasse que celui du travail posté d’une usine de banlieue ? Plus violent dans l’exploitation humaine, plus discriminant dans les critères d’embauche, plus infect dans les écarts de salaires entre exploitées et exploiteurs, plus répugnant dans les conditions sociales du travail ?
Et lorsqu’on voit cette esclavagiste moderne – mais so hype – nous présenter la « Brigitte Bardot 2.0 », on comprend par sa ceinture évoquant quelques inclinations sado-masochistes et par la lisseur de son corps glabre (nous avons flouté, mais croyez-nous sur parole), que les codes de la pornographie sont bien ancrés dans l’iconographie et les cerveaux de notre époque.
Et ainsi, d’une actualité à l’autre, la boucle est aussi sordidement qu’implacablement bouclée.