Nouvelle péripétie dans une affaire ténébreuse : l’avocate algérienne qui avait déposé plainte contre X pour le « meurtre » de Mohamed Merah se retire du dossier. Maître Zahia Mokhtari a fait connaître sa décision jeudi dernier. Chose curieuse, les circonstances de cette annonce posent également question.
Au siège de France 24, à Issy-les-Moulineaux, l’avocate est interrogée par Patrick Hermansen, ex-responsable de la rubrique judiciaire à LCP. L’interview est filmée en parallèle par l’homme qui a organisé ce rendez-vous : Albert Farhat, un journaliste libanais qui se présente sur son blog comme un « spécialiste des événements qui touchent le monde du renseignement, du terrorisme et des groupes islamistes ». Mardi soir, cet intermédiaire a mis en ligne, sur son compte YouTube, trois extraits de cet entretien. Voici le passage dans lequel Zahia Mokhtari tente d’expliquer, avec une certaine confusion, les motifs de son désistement inattendu.
L’avocate algérienne évoque, à la fois, des pressions politiques et un manque de coopération de la part du père de Mohamed Merah. Celui-ci n’aurait pas fourni des rétributions financières et, plus grave, refusé de donner les prétendues vidéos dans lesquelles son fils se serait déclaré « innocent » des crimes qui lui ont été imputés.
Cinq jours après l’enregistrement de cette vidéo, aucun média généraliste n’a relayé cette information obtenue à l’origine par France 24. La chaîne d’information internationale n’ayant pas diffusé l’interview, Albert Farhat a finalement décidé de mettre en ligne, hier soir, son propre enregistrement de cette annonce.
Oumma a contacté la correspondante judiciaire de Zahia Mokhtari : surprise par la déclaration de sa consœur, Isabelle Coutant-Peyre ne s’explique pas son revirement. Selon l’avocate française, maître Mokhtari n’a pas du tout évoqué cette option lors de leur dernière rencontre, lundi 19 novembre à Paris, même si elle confirme l’existence de menaces proférées par téléphone à l’encontre de sa collègue. La question abordée ensemble était relative à la réticence de Mohamed Ben Allal Merah à rétribuer ses avocates. Fin octobre, dans un entretien avec un média algérien, Zahia Mokhtari n’avait pas fait, non plus, d’allusion à un éventuel désistement imminent.
Blackout médiatique
Nous avons également contacté Albert Farhat : l’homme nous confirme avoir organisé l’interview de France 24, même s’il ne s’explique pas les motifs de la chaîne à ne pas diffuser ce scoop. Rappelons ici que France 24 était le média au cœur de l’affaire Merah dans les premiers jours : une journaliste de l’antenne avait affirmé s’être entretenue avec un homme qui se déclarait responsable des tueries de Toulouse et Montauban.
Avant la mise en ligne – mardi soir – de ses propres vidéos, le journaliste libanais avait publié sur son blog un court texte, dès jeudi, pour annoncer ce retrait :
« Maître Zahia Mokhtari, l’avocate du pére de Mohammed Merah se désiste, en conséquence d’un manque de coopération de la famille. »
Le cache des archives Google, étudié par Oumma, permet d’obtenir le premier texte, légèrement différent, qu’il avait mis en ligne, jeudi 22 novembre, pour faire connaître l’information.
Interrogé sur sa rectification, le journaliste nous a indiqué avoir finalement préféré souligner l’attitude problématique du père de Mohamed Merah.
L’axe Paris-Alger
Selon Isabelle Coutant-Peyre, Albert Farhat accompagna Zahia Mokhtari lors de sa venue à Paris, en juin dernier, pour déposer plainte. Le journaliste nous a indiqué, pour expliquer sa proximité avec l’avocate, travailler sur l’affaire et ne pas vouloir dévoiler ses conclusions, même s’il évoque, entre les lignes, une « manipulation » des « deux côtés » de la Méditerranée. Curieusement, Albert Farhat est le proche d’un ancien haut-fonctionnaire favorable à l’amitié franco-algérienne en matière de services secrets : Yves Bonnet.
Les deux hommes ont co-rédigé en 2009 un ouvrage consacré aux ravages causés par les frappes militaires israéliennes contre Gaza. L’ex-directeur de la DST est également l’un des rares à s’être prononcé , très rapidement, pour l’hypothèse d’un Merah indic’ au service de la DCRI.
En résumé : un journaliste libanais, favorable à la thèse d’une « manipulation » franco-algérienne mais proche lui-même d’un ancien responsable du contre-espionnage français (qui témoigne, pour sa part, de son « amitié » pour les services secrets algériens) a organisé la médiatisation du désistement de Zahia Mokhtari. En conséquence, l’annonce de cet abandon, étrangement non-relayée par France 24, renforce le manque de crédibilité d’une avocate qui avait déclaré être prête à remettre des vidéos compromettantes avant de faire faux bond. Au final, ce dernier rebondissement consolide implicitement la version officielle de l’affaire Merah puisque la partie adverse – ayant fait état de prétendues vidéos choc qui démontreraient le mensonge de l’appareil d’État français – vient de déclarer forfait.
Mystification, de part et d’autre
En juillet, lors de la publication de notre dossier spécial, nous écrivions déjà ceci à propos de l’avocate algérienne :
7/À quoi joue Zahia Mokhtari ? L’avocate du père de Mohamed Merah, qui a déposé plainte contre X pour « meurtre avec circonstances aggravantes » ne cesse, depuis le 1er avril, de temporiser la remise à la justice des vidéos démontrant, selon elle, l’innocence du jeune homme. Curieusement, seul un quotidien proche des services secrets algériens, Echourouk, a bénéficié de « l’exclusivité » d’une retranscription des vidéos, directement fournie par le cabinet de l’avocate. Le texte d’une telle retranscription peut être mis en doute dans la mesure où aucun journaliste indépendant n’a eu publiquement accès aux images. En outre, si l’on en croit la presse algérienne, la dernière conférence de presse de Zahia Mokhtari, mi-juillet, était émaillée de grossières erreurs factuelles à propos de Mohamed Merah, dont elle dresse également un portrait excessivement angélique.
Sac de noeuds
Quelle que soit son origine, la stratégie consistant à mettre Zahia Mokhtari sur le devant de la scène semble avoir pris fin. Un coup de bluff individuel pour se faire connaître ? Une diversion opérée par les services algériens, en collaboration avec leurs homologues français ? Ou une poudre aux yeux lancée par une tierce partie ? À ce jour, rien ne permet de trancher. Nous avons tenté de joindre Zahia Mokhtari sur son téléphone portable, sans succès. De son côté, Isabelle Coutant-Peyre nous a indiqué que cette annonce ne changerait rien à sa qualité de « correspondante » pour ce dossier. Quant à Albert Farhat, il nous a affirmé qu’il continuerait à travailler sur l’affaire pour son propre compte.
Aujourd’hui, une seule chose paraît certaine : l’affaire Merah devient de plus en plus inextricable. Il faudra bien, néanmoins, tenter de trouver des réponses, même si celles-ci peuvent s’avérer explosives. C’est l’intuition de Jean Guisnel, journaliste du Point, spécialisé dans l’histoire des services secrets et proche de l’institution militaire. Récemment interrogé par France Culture, l’homme reconnaissait (à 6’47) être troublé par les « éléments extrêmement mystérieux » entourant ce dossier. Sybillin, il suggéra (à 14’) une idée stupéfiante de la part d’un professionnel censé avoir la mission sociale d’informer les citoyens à propos des éventuelles dérives de l’État : d’après lui, il n’était pas « absolument nécessaire » de connaître « toute la vérité » sur l’affaire Merah en raison des probables « vipères et crabes qu’on va trouver sous les rochers en les soulevant ».