On s’interrogeait il y a deux mois [1] sur l’utilité possible des 12.000 armes saisies par la police espagnole le 12 janvier.
De par l’estimation de leur valeur économique donnée par la presse espagnole, en l’absence de communiqué clair d’une police discrète même après la fuite d’information, on en avait conclu qu’il s’agissait vraisemblablement de fusils d’assaut pour l’essentiel, même s’il était mentionné la présence (aussi) d’armes de poing, et sachant que les armes collectives et antiaériennes n’étaient pas nombreuses. De toute évidence, les deux images de rateliers sorties d’on ne sait où (peut-être d’une armurerie de chasse et de collection) par un journaliste incompétent en armes souhaitant illustrer un article aveugle, et reprises par le peu de presse qui ait mentionné la saisie, étaient sans rapport avec les premières évocations du type d’armes concernées. Prenant pour hypothèse la présence de 10.000 fusils d’assaut parmi ces 12.000 armes, on avait expliqué que cela permettrait d’équiper l’équivalent de la moitié de l’infanterie française ou de la moitié de l’infanterie espagnole.
On ne s’était pas trompé, puisqu’après deux mois d’inventaire la police espagnole et Europol viennent d’annoncer qu’il se trouve dans les lots effectivement 10.000 fusils d’assaut. En l’occurrence il y a 1.000 fusils d’assaut de trois marques distinctes, et 9.000 CETME, dont les photographies, cette fois fournies par la police, montrent une répartition entre l’ancien CETME-C (7,62 mm) et l’actuel CETME-L (5,56 mm), deux armes espagnoles offrant tir par rafale et tir au coup par coup.
Le discours officiel est toujours celui d’un trafic visant premièrement le grand banditisme et n’excluant pas le marché terroriste. Or, quand bien même il peut rester à Marseille ou à Palerme quelques émules d’Al Capone capables d’aligner cinquante « gâchettes » pour conquérir le territoire d’une bande rivale, leurs troupes sont déjà équipées et ne sortent pas assez souvent ce type d’arsenal pour qu’il s’use. Le crime organisé travaille sur ordinateur et porte surtout des armes de poing, tant pour la défense personnelle que pour les opérations de coercition. Le menu fretin banlieusard, cause de la véritable insécurité, est lui aussi plus à l’aise avec un pistolet facilement dissimulable qu’avec une arme longue, sauf peut-être une fois par an à la banque. Il n’y a certainement pas là un marché de nature à inciter des professionnels à introduire et préparer 10.000 fusils d’assaut et seulement quelques centaines de pistolets et revolvers. Les quelques gros revolvers montrés sont d’ailleurs des pièces pittoresques aux calibres historiques plus propres à jouer l’arme de statut d’un officier, qui compte plutôt sur les fusils d’assaut de ses soldats, que l’arme de défense ou de coercition d’un bandit, qui doit pouvoir compter sur un pistolet moderne, rapidement rechargeable et surtout fiable. Quant aux armes antiaériennes, dont on devine qu’il s’agit de mitrailleuses 12,7 mm, elles sont sans intérêt pour la pègre, ne peuvent pas être servies sans un minimum d’entraînement (en binôme), et sont incapables d’abattre un avion de ligne. La seule chose qui pourrait intéresser un terroriste sont les grenades.
La police espagnole manque peut-être d’imagination, et certainement d’arguments convaincants. Pour mémoire, un an plus tôt, elle avait assuré que les 20.000 treillis de combat neufs saisis en février 2016 dans les ports de Valence et d’Alicante étaient en partance, et à destination de « l’État islamique » en Syrie. On pouvait se demander si celui-ci n’avait pas un sérieux problème cognitif, quelques mois après le début du soutien aérien russe à l’armée syrienne, pour décider d’habiller de treillis centre-Europe neufs et uniformes les légions islamiques qataries présentées comme des civils syriens insurgés dans des agglomérations plus poussiéreuses que vertes. On pouvait aussi se demander si la coalition islamo-atlantique n’avait pas un sérieux problème logistique, pour faire venir d’Espagne des treillis neufs dans un Proche-Orient regorgeant de milices tribales et d’armées débandées où on compte plus de treillis usagés que d’habitants mâles. On pouvait même se demander si les recruteurs qataris et turcs n’avaient pas un sérieux problème de priorité ergonomique, pour équiper d’habits neufs, au-dessus de la cheville, des troupes embabouchées de chaussures de basket chinoises et d’espadrilles pakistanaises. Mais c’est resté la version officielle, les 20.000 treillis neufs saisis allaient quitter l’Espagne. À la lumière de l’explication officielle sur les 10.000 fusils d’assaut saisis il y a deux mois, on peut se reposer la question de la véritable destination de ces 20.000 treillis.