Entre Vladimir Poutine « venu tâter le terrain » et Emmanuel Macron plus proche de « la tradition diplomatique française » que ses prédécesseurs, l’universitaire et professeur Jean-Robert Raviot décrypte les dessous d’une visite sans avancée concrète.
RT France : Quelle impression vous laisse cette visite de travail entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron ?
Jean-Robert Raviot (J.-R. R.) : Mon avis est peut-être plus nuancé que ceux des commentateurs français qui se sont réjouis de ces fastes déployés à Versailles, de cette arrivée du président « Jupiter », comme certains disent.
J’ai vu la rencontre de deux personnes endossant des rôles différents. D’un côté, le président russe qui – quel que soit l’avis que l’on puisse avoir sur lui – est en exercice depuis près de 20 ans, avec une stratégie internationale une ligne de conduite politique tout à fait claires et identifiées dans un pays qui a une souveraineté politique et militaire également très visible.
En ce qui concerne Emmanuel Macron, c’est plus complexe. Pour les Français, il est réconfortant d’avoir un président qui investit la fonction présidentielle d’une manière beaucoup plus solennelle et plus respectable que ses deux prédécesseurs. La vision que porte Emmanuel d’un « vrai » président un peu à l’ancienne conforte et fait du bien au moral des Français.
Mais je trouve que c’était un peu la rencontre d’un président en exercice et d’un animateur politique sans réel pouvoir car la France n’est plus si souveraine que cela.
Quels étaient selon vous les objectifs de chacun ?
Vladimir Poutine était plutôt là pour tâter le terrain et surtout pour mesurer l’éventuelle capacité d’Emmanuel Macron à pouvoir influer sur les centres de décisions occidentaux qui ne sont plus à Paris, mais plutôt à Berlin, à Bruxelles et à Washington. Nous sommes dans un contexte incertain pour l’Alliance euro-atlantique car le leadership américain est devenu lui-même incertain. On ne sait pas très bien ce que Donald Trump veut. Quand bien même on le saurait, reste l’inconnue : Donald Trump peut-il réellement faire ce qu’il veut ? Va-t-il seulement pouvoir rester au pouvoir ? Cette très grosse incertitude pèse sur le leadership de l’OTAN. Qui pourra se figurer comme l’acteur majeur à suivre ? Il n’est pas certain que l’Allemagne en soit capable. Quant au Royaume-Uni, on assiste à son retrait évident de la scène internationale.
Dans ce contexte, Emmanuel Macron pourrait-il en quelque sorte incarner ce leadership ? Je ne le pense pas car il n’a aucune carte : la France est un pays qui n’a ni souveraineté monétaire, ni souveraineté stratégique – un peu plus que les autres, mais à peine plus. Néanmoins, Vladimir Poutine a pu lors de cette visite mesurer à quel point le nouveau président français pourrait éventuellement, au sein du bloc euro-atlantique, modifier la donne et peut-être faire de Paris une capitale plus influente qu’auparavant.
De son côté, Emmanuel Macron a décidé d’avoir une attitude plus proche de la tradition diplomatique française : distance, respect mutuel tout en affirmant ses positions. Je l’ai trouvé plutôt bon dans l’exercice, mais, comme je le disais, je reste très sceptique quant à sa capacité à pouvoir incarner un leadership à l’intérieur de l’alliance euro-atlantique. Jusqu’à présent le président français a construit son jeune parcours politique sur une stratégie de marketing. Il est intelligent et très intuitif. Il sent le vent et perçoit très bien les choses à faire et à ne pas faire, comment se situer face à un autre dirigeant. Mais est-ce suffisant pour convaincre Angela Merkel et Jean-Claude Juncker ? Pour avoir une influence réellement décisive au sein de l’OTAN ? La France avec François Hollande s’est beaucoup effacée, elle a beaucoup perdu en crédibilité. Le temps nous dira si Emmanuel Macron se montre capable d’inverser cela.
Je pense enfin que Vladimir Poutine est venu à Versailles pour voir ce nouveau personnage, un peu comme pour voir la grande nouveauté au cirque et répondre aux questions inspirées par la nouveauté : « Qui est-il ? À quoi ressemble-t-il en vrai ? » Il y une grande curiosité en Russie à l’égard d’Emmanuel Macron.
Cela a-t-il selon vous amorcé une dynamique positive dans les rapports entre les deux pays ?
Il y a eu une grande place à la dimension culturelle, ce qui est très sympathique. Parler des liens entre Pierre Le Grand et la France est un bon signal pour les relations franco-russes en général. Il semble que le dialogue entre les deux présidents ait été assez bon. Cela tranche effectivement beaucoup avec les deux dirigeants précédents. D’un côté, Nicolas Sarkozy était un président tantôt très enthousiaste à l’égard de la Russie, tantôt très critique. Quant à François Hollande, il était influencé par des proches et des conseillers qui étaient très anti-russes.
Les symboles déployés tout au long de cette visite sont un signal positif. Mais si le symbolique est important, il ne fait pas tout. En réalité, la situation n’a pas avancé d’un iota : rien n’a été vraiment dit sur la Syrie, sur l’Ukraine ou sur le volet des sanctions. Nous sommes toujours au point mort. Je pense que Vladimir Poutine n’est pas venu dans l’optique de faire avancer les dossiers mais plutôt de voir dans quelle mesure Emmanuel Macron était capable d’influencer les décisions entre les capitales de l’alliance euro-atlantique. En résumé, cette rencontre était symboliquement très positive, politiquement quasi-nulle, mais elle peut être l’amorce de quelque chose de différent dans les relations franco-russes. Si on est optimiste on peut qualifier cette rencontre de positive. Si on est réaliste, à mon instar, on reste dans l’attente.
Emmanuel Macron n’a pas manqué de réagir avec beaucoup de virulence sur le sujet de RT et de Sputnik. Malgré cette visite doit-on s’attendre à ce que la situation ne s’apaise pas ?
RT et Sputnik sont des canaux de communication d’État à vocation internationale de la même manière que d’autres médias américains, français, anglais existent. Les réduire à des canaux de propagande n’est pas bon signe à mes yeux. Il aurait pu plus finement dire qu’il souhaitait que la guerre de l’information soit moins virulente sans forcément mentionner nommément les canaux de diffusion.
Cela montre qu’Emmanuel Macron est prisonnier d’une espèce de doxa euro-atlantiste de base. Cette vision relativement simpliste de nouvelle guerre froide n’est pas positive. Comme si RT et Sputnik n’existait que dans l’air et non pas en réplique au soft power étranger.
Néanmoins, il est plutôt bien que la question ait été évoquée de manière ouverte et directe. Il n’a pas hésité à le faire devant Vladimir Poutine. Dans la globalité de la rencontre, on a vu Emmanuel Macron imposer l’intérêt de cette visite sans être prisonnier de la doxa journalistique française très anti-russe.