Le 23 mars 1933, par une loi dite « de salut public du peuple et du Reich », le parlement allemand autorise le chancelier du Reich à gouverner par décrets pour quatre ans jusqu’au 1er avril 1937. Cette loi porte le coup de grâce à la République de Weimar en privant le parlement de son pouvoir de contrôle législatif.
Le 23 mars 2020, par une loi dite « d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de Covid 19 », le parlement français autorise le Premier ministre à gouverner par décrets dans un champ très large de privation des libertés publiques pour une durée de deux mois, renouvelable par décret à l’initiative du même Premier ministre.
Dans les deux cas les lois sont promulguées dans l’urgence dès le 24 Mars, en Allemagne sous l’omniprésence bien réelle des SA, en France sous la psychose d’une contamination de l’éther.
En Allemagne les pleins pouvoirs sont désormais aux mains du chancelier du Reich, en France c’est la disparition immédiate de toutes les libertés publiques
En se suicidant les parlements se plongent dans une mort cérébrale et ils persistent à l’état végétatif dans le paysage politique. En Allemagne, comme en France aucun des corps parlementaires n’est officiellement enterré et faute d’avoir su faire rempart à la démocratie, ils subsistent comme marche-pied du totalitarisme. L’abrogation de la séparation des pouvoirs en fait de simples chambres d’enregistrement à l’électroencéphalogramme plat, privées de débat, de réflexion et d’analyse. Pour la bonne forme, le Parlement uni-partite allemand put se réunir 19 fois en séance plénière, la séance du Parlement français, quant à elle, se voit diminuée, au prix d’une acrobatie constitutionnelle inédite, à la portion fantomatique d’un député par groupe. Qu’importe au demeurant puisque, en Allemagne comme en France, le parlement dit « de salut public » ou bien « d’urgence sanitaire » n’a d’autre vocation que de donner un cadre d’apparence solennelle à des décisions qui lui échappent en totalité.
Pour ce qui concerne les libertés individuelles, la comparaison des situations allemandes et françaises souligne en revanche quelques nuances. Dévolue au « salut public du peuple », l’Allemagne embrasse avec enthousiasme un large éventail de mesures liberticides et son guide s’autorise : les restrictions à la liberté des personnes, à la liberté d’expression, y compris la liberté de la presse, le droit de coalition et de réunion ; les atteintes au secret des communications postales, télégraphiques et téléphoniques, les mesures prises en vue de perquisitions et de confiscations ainsi que de restrictions de la propriété.
La France, à défaut de reconnaître les siens parmi les contaminés, les assigne tous indistinctement à résidence, doctrine qui a pour atout, non seulement de désigner comme suspect tout individu repéré dans l’espace public, mais aussi d’englober toutes les formes liberticides de la réglementation allemande en les résumant en une seule : interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé.
Pour rectifier le sentiment permissif que pouvait suggérer le sous réserve aux besoins familiaux, le gouvernement français a bien vite interdit l’accès aux maisons de retraite, et sanctionné par de lourdes amendes les dangereux contrevenants à l’herméticité du huis-clos propice à l’euthanasie par Rivotril, dont il a déclaré l’usage « exceptionnel et transitoire » par décret , dès le 28 mars soit 5 jours à peine après le suicide parlementaire, alors que le régime allemand mit 6 ans pour produire un décret similaire.
De même, le sous réserve des besoins de santé pouvant prêter à confusion, laissant croire que les médecins libéraux disposent encore du droit de prescription attaché à leur profession, un décret gouvernemental du 25 mars leur interdit de prescrire à leurs patients le seul médicament apte à les sauver, la chloroquine, au motif qu’ils ne sont pas encore hospitalisés. Au plan strictement légal, seule une loi votée par le parlement, et non pas un décret, était de nature à valider une telle interdiction médicale gravissime. La saisine par les médecins du Conseil d’État en l’occurrence rétablira-t-elle ce droit élémentaire ? On peut en douter. Elle n’effacera pas de toute façon la vindicte féroce du Conseil de l’Ordre des médecins à l’encontre des contrevenants aux oukases du régime en place.
Il est vrai qu’aux régimes politiques d’exception s’attache une conception particulière du respect de la vie, maintes fois évoquée sous le Reich à propos des odieuses expérimentations humaines , mais qui ont trouvé sous la forme des essais modernes dits « randomisés » une édulcoration sémantique qui rend la chose d’autant plus acceptable par l’ordre « déontologique » des médecins (bien que pratiquée à l’insu des hospitalisés cobayes) qu’Hippocrate n’était pas familier avec la langue de Shakespeare.
Sur le simple aspect quantitatif de la production accélérée d’ordonnances gouvernementales, échappant à tout regard parlementaire et à toute logique constitutionnelle, l’avantage reste aussi à la France qui en l’espace de deux semaines à partir du 23 mars en a produit en abondance plus de 40, alors qu’il fallut 6 mois au Reich millénaire pour la même débauche d’énergie.
Les lois scélérates allemandes ou françaises ont pour point commun de tuer la Constitution réelle tout en conservant son apparence par des scrutins inutiles, qui n’accordent en réalité aucun pouvoir aux « élus ». La loi française du 23 mars 2020 est sans détour sur ce point : le statut des candidats élus au premier tour dont l’entrée en fonction est différée ne leur confère ni les droits ni les obligations normalement attachées à leur mandat.
En Allemagne, les bulletins de vote des élections législatives de 1938 ne mentionnent plus le nom des « élus » qui sont désignés avant « l’élection » par le parti unique et soumis à sa loi sans que la Constitution démocratique de Weimar n’ait été abrogée.
Si l’apoptose des parlements démocratiques entraîne bien la mort de leur Constitution, ses membres institutionnels – État, armée, justice, administration, forces de l’ordre nouveau – supportent sans dommage la greffe sur un État totalitaire et ne souffrent d’aucun rejet immunologique. La nouvelle domination sur le peuple qui leur est concédée semble au contraire leur procurer une sorte de griserie répressive, comme l’armée allemande rendue à sa puissance à partir de 1933 ou la gendarmerie française transformée en force d’occupation à partir de 2020.
Les corps administratifs intermédiaires ne sont pas en reste pour manifester leur engouement pour le pouvoir arbitraire et les brimades qu’il autorise envers la population, sinon comment interpréter l’interdiction administrative de respirer dans la capitale à pleins poumons entre 10 heures et 19 heures, à moins de voir là une sorte de complicité passive du pouvoir avec le virus assassin des bronches.
Ainsi ont péri la République de Weimar et la Cinquième République, non pas précipitées dans l’abîme par des forces étrangères ou ennemies, mais par le suicide des parlements à qui leur destin était confié.