J’ai toujours voulu être batteur, mais j’étais persuadé de ne jamais pouvoir y parvenir. Mon rêve, c’était de devenir Kenny Clarke et d’accompagner les grands maîtres du jazz. Mais ça, c’est une autre paire de manches… Quand j’avais 17 ans, en 1958, je suis allé à Paris pour voir mon idole jouer avec Bud Powell, un pianiste génial, et Pierre Michelot, un bassiste qui avait accompagné Django Reinhardt. Ce monde était mon univers, et j’aimais ces musiciens. Dans le Paris des années 50, le jazz n’était pas, comme aux Etats-Unis, une musique réservée aux Noirs, c’est pourquoi votre capitale était à cette époque la Mecque des musiciens de jazz. Je me souviens qu’il y flottait un parfum très romantique, je me rappelle avoir rencontré Kenny Clarke à Saint-Germain-des-Prés, un homme flamboyant qui vivait une véritable romance avec Paris. Moi-même, j’avais l’impression de vivre dans un film de Fred Astaire. (Charlie dans Télérama)
Il avait toujours l’air de s’en foutre, de ne pas être là ; d’ailleurs, les années 60-70 l’ont gavé, il le dit dans Télérama. Charlie, le batteur des Stones, adorait sa partie dans Not Fade Away. En 1964, les Rolling Stones sont jeunes, ils ont la petite vingtaine, sont encore bien habillés et pas trop camés.
À cette époque, les Stones jouent du rhythm and blues, inspiré de la musique noire, qu’ils électrisent peu à peu, dans la veine de Bo Diddley et Little Richard. D’ailleurs, leur première vraie tournée dans les petites salles de ciné et de théâtre a eu lieu en première partie de ces deux musiciens et chanteurs de couleur.
Les jeunes filles qui chialent et crient dans le scopitone, Charlie s’en battait les fûts. Ça l’emmerdait, il venait du jazz, qui n’a pas besoin de tous ces artifices, et découvre le rock et le blues via Alexis Korner, la passerelle, le mélangeur de talents des sixties.
Dans son livre Stone alone, Bill Wyman écrit que vous êtes le seul du groupe à n’avoir jamais pris de drogue dans les années 60 et à être toujours resté fidèle à sa femme. Qu’est-ce qui a motivé cette attitude ?
Avoir toujours aimé ma femme inconditionnellement ! En fait, j’ai détesté les années 60 et 70. Je trouvais la musique de cette période épouvantable et j’avais beau être au cœur de l’action, je n’ai jamais vu de révolution. Seule la naissance de ma fille m’a rendu heureux. Toutes ces gamines hurlant durant nos concerts et le prétendu mode de vie « sexe, drogues et rock’n’roll » m’ont toujours paru ridicules et malsains. En ce qui concerne la dope, je me suis rattrapé au cours des années 80 en prenant des tonnes de poudre. J’en ai été le premier surpris, ma femme n’a pas compris, mais le plus étonné, c’était Keith Richards ! Je n’avais plus goût à rien, je me méprisais, j’étais parti à la dérive à plus de 40 ans…
Mais tout ça figure dans l’interview de Télérama, on n’a pas grand-chose à dire de plus, si ce n’est que le jeu mollasson de Charlie était trompeur. Un grand batteur, c’est pas forcément Thor défoncé qui tape comme un dingue sur des rochers géants des forêts scandinaves, ça peut être Steve Gadd :
Cette vidéo permet de comprendre, pour les non initiés, que le rythme est essentiel. Les batteurs pro pourront en dire beaucoup plus, et Charlie, qui assurait la rythmique avec son complice le bassiste Bill Wyman, avait un jeu spécial que décrit Yves bigot, grand connaisseur du rock :
Sur la corrélation entre la batterie et la mélodie, assurée en gros par le chant et la guitare solo, le cas de John Bonham est à la fois intéressant et complexe : au cours d’un morceau, il délaisse la basse pour suivre la guitare. C’est ce qui donne ce son unique dérangé – et dérangeant – de Led Zep.
Charlie a donc accompagné les Stones de 1963 à 2021, mais les puristes diront que les Stones sont morts en 72, après Exile on Main Street. Sont morts ou ont changé. Comme on trouve toujours plus puriste que soi, en musique ou en politique, on ne va pas s’attarder sur ce débat. Charlie ne cultivait pas l’image des Stones à coups de frasques, ça l’emmerdait prodigieusement et il laissait le travail d’image à Mick et Keith.
C’est parce que Mick prenait toute la place et toute la lumière qu’on ne voyait ni Watts ni Wyman, aussi discrets qu’efficaces. Illustration dans cette vidéo un peu pourrie de Honky Tonk Woman (1969) :
La version 2003 :
Si Charlie battait gentiment en studio, en concert, il fallait aller plus vite, et plus fort. Cela donnera des enregistrements live homériques qui surgiront sur les radios libres dans les années 70-80. Les fans des Stones découvriront alors des concerts sauvages dans un esprit et un son beaucoup plus sales.
Aujourd’hui, les Stones sont une grosse machine à faire du fric. Seuls les bourgeois curieux ou les boomers à la retraite confortable peuvent aller les voir sur scène. Les pauvres se contentent de groupes moins prestigieux. Dans le rock aussi sévit la lutte des classes.
Scorsese, premier fan des Stones
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L’entretien mélomane : Soral, Montréal, 2012