« La disparition de Jean-Pierre Elkabbach me plonge ce soir dans la tristesse et la nostalgie. Comme beaucoup, c’est avec lui que j’ai découvert et aimé la politique. Puis, au sein de la famille Europe 1, j’ai eu la chance de côtoyer et d’admirer ce monument du journalisme… » (Alexandre Bompard, qui lui a piqué sa place à Europe 1 en 2008)
Monument du journalisme ou du Système ?
On est les seuls à dire la vérité ou quoi ? De tous les côtés, droite, gauche, centre, extrêmes ou presque, c’est le concert des louanges, les pleureuses occidentales, les hommages excessifs, l’Immense qui disparaît, la Télé en deuil, la Radio qui grésille. En quoi Jean-Pierre était-il un grand homme, qui mérite presque le Panthéon entre Joséphine Baker et Simone Veil ?
Il incarnait la radio, mais aussi la télé d’État, même s’il a bossé dans le privé : il dirigea France Télévisions, Europe 1, puis une petite télé (Public Sénat, à la fois sœur et rivale de LCP-AN, dirigée par Ivan Levaï, futur ex d’Anne Sinclair, future madame DSK) que personne ne regardait mais où il prenait un gros salaire, voilà.
On envoie tout ça de mémoire, pas la peine de recopier son Wikipédia. On laisse remonter 50 ans de souvenirs politico-médiatiques et ça y est, on retrouve Georges Marchais, qui savait contrer l’homme de main du Système envoyé pour le descendre :
Quand le Canard n’était pas encore trop enchaîné au pouvoir profond (le prédateur Mediapart lui taille des croupières), il vannait en permanence Elkabbach comme le lèche-cul officiel des présidents de droite. Le JDD revient sur la période de disgrâce mitterrandienne...
Le JDD : Le 10 mai 1981, vous annoncez sur Antenne 2 que François Mitterrand est élu. Comment ça se passe sur le plateau ?
Elkabbach : Nous savons dès 18 h 25 que François Mitterrand va être élu. Avec Étienne (Mougeotte), on se dit que tous nos mots et gestes seront retenus contre nous. Si nous sourions trop, on va nous reprocher de retourner nos vestes. Et si nous offrons des visages trop dramatiques, on dira que nous portons le deuil de Giscard. L’ambiance sur le plateau est électrique. Nous étions tendus car nous avions conscience que c’était la nuit historique de l’alternance. On fera six heures d’antenne dans l’inconnu.
Lèche-cul officiel de Giscard, il scellera 12 ans plus tard un pacte secret avec Sarkozy, selon Gala :
C’est Nicolas Sarkozy en personne qui aurait dévoilé les dessous de l’affaire à Paul Amar, lors d’une rencontre survenue peu de temps après son départ du JT de France 2, en 1994. Le journaliste demande à celui qui est ministre du Budget du gouvernement Balladur pourquoi Jean-Pierre Elkabbach a obtenu le poste de France Télévisions en 1993 alors que Jean-Marie Cavada était favori. Nicolas Sarkozy lui répond : « Elkabbach est venu me voir et m’a proposé la chose suivante : Fais-moi élire président de France Télévisions, je te fais élire Balladur président. »
On a vu le résultat... Ensuite, malgré son passif sarkoziste, Hollande sauvera les fesses d’Elka en lui laissant son interview matinale sur Europe 1. Le « grand journaliste » saura être reconnaissant.
S’il n’a pas fait de politique directement, c’est parce que Jean-Pierre préférait le pouvoir, ce qui est assez différent. C’était pas le genre à entrer dans l’opposition, le combat de base, les sandwichs au pâté le dimanche matin sur les marchés : on dira plutôt un superPPDA monté au sommet de la hiérarchie journalistique, preuve de sa souplesse d’échine et de sa connaissance pointue des besoins du pouvoir profond. Dont il était sans conteste le représentant dans les médias. Alors, fasciné par le pouvoir, c’est rien de le dire.
Grand intervieweur ? Faut pas déconner, vu le niveau dramatiquement bas de la médiacratie française. Quand tu vis dans les couloirs du pouvoir, tu en es réduit à mendier des bruits de chiottes, et tu fais de l’audience avec, car le populo croit que c’est ça l’info.
Or, l’info, c’est pas ça, c’est pas le député Bibi qui veut devenir ministre, ou le président Kuku qui veut virer son Premier ministre : au fond, tout le monde s’en fout, surtout dans un pays à fausse séparation des pouvoirs. Avec Elkabbach, on avait l’assurance de ne jamais aller au fond des choses, c’est-à-dire au cœur du pouvoir profond. Le larbin ne va pas jeter l’assiette de couscous à la tête du maître, voyons.
Quand on est fasciné par le pouvoir, on ne peut pas être journaliste : on est Elkabbach, on est Duhamel, on est Barbier, mais on n’est pas Péan, Violet ou Ratier.
D’Elkabbach il restera son rejet en 1981 comme symbole du giscardisme, et son interrogatoire 15 ans plus tard d’un Mitterrand au bord de l’abîme, sommé de mettre un genou à terre devant le lobby de la repentance. Le vieux sphinx gardera encore assez de forces pour envoyer paître son persécuteur.
Quelle était la position d’Elkabbach dans la hiérarchie du pouvoir profond français ? La question, elle est vite répondue, en photos.
Le clou dans le cercueil
J’apprends avec beaucoup d’émotion la disparition de Jean-Pierre Elkabbach.
La France perd l’un des ses plus grands journalistes.
Lui, l’enfant d’Oran, véritable symbole d’une génération arrachée de sa terre natale, journaliste sous huit présidents de la République, aura… pic.twitter.com/sHnRj67OEi
— Meyer Habib (@Meyer_Habib) October 3, 2023