Le cinéma iconique, pour le spectateur moyen, ce serait probablement Jean-Luc Godard comme figure du réalisateur, Brigitte Bardot comme modèle d’actrice et Georges Delerue à la musique. Finalement, l’image archétypique du cinéma dans l’inconscient du spectateur moyen (et aussi d’âge moyen), c’est un peu ça :
Jean-Luc Godard est donc une icône, et comme icône il a produit au moins un film culte, en l’occurrence son premier film, À bout de souffle (1960), avec Jean-Paul Belmondo (dont nous avons d’ailleurs fait la nécrologie ici – nécrologies qui s’enchaînent de plus en plus vite, signe décisif que nous arrivons à la phase terminale d’une époque bientôt révolue). Mais film culte ne signifie pas chef d’œuvre, bien que certains cumulent les deux (La Passion de Jeanne d’Arc (1928), Citizen Kane (1941), Il était une fois dans l’Ouest (1968) ou la trilogie des Parrain, par exemple).
En définitive, Jean-Luc Godard était aussi (et peut-être surtout) une image, celui du réalisateur de génie dont les films ne peuvent que survoler l’art cinématographique, à tel point que plus personne ne les regardait. Comme si les films de Godard n’étaient pas faits pour être vus, mais seulement pour exister, comme des objets symboliques. Godard fascine, Godard interroge, et in extremis Godard contraint à se déterminer.
Car, en effet, Jean-Luc Godard, c’est celui que l’on adore ou que l’on déteste et choisir son camp vous positionne et vous engage. Impossible de choisir la demi-mesure devant des films rapidement assommants dès que l’on sort de la période Anna Karina (et même déjà pendant cette période diront les mauvaises langues, Godard évoluant lentement du film intelligent au film intellichiant). Jean-Luc Godard, c’est de l’art contemporain, de celui dont il faut une longue explication de texte pour en savourer le génie. D’aucuns pensent que c’est précisément l’exact contraire de l’art, de son objet et de sa finalité. Voire...
Mais l’art de Jean-Luc Godard n’est pas que dans le cinéma, il est aussi dans la manifestation de son être, un physique singulier, le blésement d’une voix caractéristique, des formules qui marquent (« Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »). Cela concourt à l’objet culte Godard, parfois moqué par les imitateurs.
Et puis Jean-Luc Godard, c’est aussi le cinéaste politique, le cinéaste engagé. Sa période « gauchiste » – comme le disait même un Costa-Gavras, en la critiquant par ailleurs – donna des résultats cinématographiques approximatifs, curieux ou parfois critiquables. Et parmi ses diverses prises de position sur tel ou tel sujet, c’est son positionnement antisioniste qui le fit soupçonner bien naturellement d’antisémitisme. Il faut dire que certaines sorties prêtèrent le flanc à cette critique :
Les attentats-suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un État palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’État d’Israël.
Notons d’ailleurs que cette affirmation est fausse pour deux raisons. Tout d’abord, on ne peut prêter une telle intention, presque téléologique, dans l’attitude des juifs, alors que le sionisme n’était pas réellement pour ces juifs du quotidien un concept particulièrement concret ou possiblement proche.
Il y a un certain temps déjà, il y eut un projet de film où Godard devait débattre avec Claude Lanzmann – Shoah (1985). L’arbitre de ce dialogue devait être Bernard-Henri Lévy : « Lanzmann et moi étions les instruments de sa cure : celle d’un antisémite qui essaye de se soigner. J’étais prêt à jouer le jeu, mais il a changé de plan. »
Cet entretien ne vit donc pas le jour et nous ne saurons jamais si nous devons le déplorer. Il est bien probable que beaucoup d’eau tiède en serait sorti, alors même que Jean-Luc Godard disposait vraisemblablement d’un avis assez arrêté sur la question, lui qui avait d’une part grandi avec un grand-père maternel assez hostile aux « youpins » (sic !) et qui d’autre part avait dit quelques années auparavant que « les juifs font aux Arabes ce que les nazis ont fait aux juifs ». Ce débat aura lieu outre-tombe, Godard ayant désormais rejoint Claude Lanzmann.
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