Le révisionnisme byzantin d’Anthony Kaldellis
28 octobre 2023 20:05, par Gerbert d’AurillacLaurent Guyénot est toujours bienvenu, parce qu’il est instructif et stimulant. C’est un gros bosseur comme j’aimerais pouvoir l’être. J’apprécie beaucoup, par exemple, les mises au point du genre de celle-ci : « Mais que peut bien signifier un « déclin » de 1 123 ans ? C’est à peu près aussi inconcevable qu’un « empire » de 43 ans (la durée de l’empire carolingien (…)) ? »
Mais on n’est pas forcé d’approuver Guyénot quand il reprend à son compte certaines positions d’un historien d’Amérique qui est manifestement une sorte de nationaliste grec (ce qu’il est tout à fait légitime d’être ; de toute façon, l’histoire progresse par le débat, lequel est nourri surtout par des passions, y compris la passion nationaliste), ni quand il cède à son habitude de voir du mensonge dans toutes les contre-vérités. Deux phrases me font plus que froncer le sourcil. La première : « Si Byzance cadre mal avec l’Antiquité tardive et le Moyen Âge, c’est tout simplement parce que ces catégories ont été créées précisément pour occulter ou marginaliser Byzance. » C’est une erreur que de croire qu’une vision qui a pour effet d’occulter Byzance est faite pour occulter Byzance. Comme tout le monde, les Occidentaux se voient eux-mêmes davantage qu’ils ne voient les étrangers. C’est la vie des XVIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe, XXe et XIXe siècles qui occulte à nos yeux le monde byzantin et marginalise l’importance de son passé. La deuxième, qui dit à peu près la même chose : « Byzance est une civilisation engloutie dans les ténèbres de l’histoire, effacée de l’historiographie sous la pression du roman européen. » C’est plutôt l’inexistence de Byzance depuis 1453 qui me paraît en cause, son absence apparente dans notre Europe à nous (alors que des espèces de lambeaux d’empire romain d’Occident y sont visibles à nos yeux à nous) Depuis 1453... c’est-à-dire depuis une époque très antérieure à la naissance de l’histoire moderne.
J’en profite pour faire une observation qui ne concerne pas du tout le coeur du sujet. Attention à une affirmation telle que : « À ses périodes d’expansion, l’Empire byzantin recouvrait à peu près le territoire conquis par Alexandre (…) » ! À l’est, l’empire romain d’Orient n’a même pas couvert la moitié de l’empire d’Alexandre. Au contraire d’Alexandre, Byzance à aucun moment n’a atteint ne serait-ce que le golfe Persique, ni possédé des pays qui sont aujourd’hui en Iran, Afghanistan, Pakistan, Turkménie, Ouzbékie, Tadjikie…