Entretien avec Pierre Hillard (juin 2011)
11 juin 2011 18:26, par IrchâdPierre Hillard reprend une thèse simplificatrice des tenants de l’identité européenne : le monde chrétien connaîtrait la distinction entre le temporel et le spirituel, et le monde musulman ne la connaîtrait pas.
Le Coran lui-même, pourtant, abonde de mentions explicites de l’ici-bas (dounia) et de l’autre monde (akhira). Les chefs politiques (califes, vizirs, emirs) ont toujours été des figures distinctes de celles des imams ou des savants (’ulama).
La confusion de Pierre Hillard vient d’une culture essentiellement livresque et européenne, qui le conduit à présenter comme essentielle une simple différence de degrés. Il est exact, historiquement, que les sociétés européennes ont PLUS distingué spirituel et politique que les sociétés musulmanes. Mais la distinction n’a jamais été totale : le roi était sacré par l’Eglise, le pape avait (et a) des Etats, l’Eglise remplissait des fonctions économiques et politiques, les figures des chevaliers empruntaient à la fois au registre guerrier, "temporel", et au registre religieux voire mystique.
Quant à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, actée au début du siècle précédent dans notre "patrie des Droits de l’Homme", je ne crois pas être le seul ici à me demander s’il ne s’agit pas de la victoire d’une religion sur une autre, plutôt que d’une saine "remise à César de ce qui est à César"...
La différence de degré dans la distinction temporel / spirituel peut s’expliquer simplement par les figures prophétiques fondatrices des deux religions : Mohamed est un chef de guerre victorieux, tandis que Jésus est un crucifié. L’Islam est né dans des persécutions suivies d’un triomphe, d’où cet espoir qu’il maintient dans une "victoire" du Bien - espoir que, me semble-t-il, nous persistons tous à garder au fond de nos cœurs, d’où que nous venions ! La passion de Jésus, en revanche, inspire une légitime défiance envers tout pouvoir temporel (les Romains), mais aussi, dois-je le rappeler ? envers tout pouvoir clérical (le Sanhédrin). La victoire de Jésus ne réside pas dans un triomphe politique, mais dans sa seule naissance, qui marque l’inéluctable défaite de l’Ennemi et la gloire de Dieu : tuez le Messie, il ne cessera de ressusciter.
Peut-on vraiment parler d’eau et d’huile ? D’incompatibilité complète ? Islam et christianisme ont la même source, la vérité, et le même but : le triomphe de la justice. Les musulmans sincères sont plus conformes aux valeurs françaises fondamentales que ne le sont beaucoup de Français dévoyés.