Le combat des chefs a viré au sketch sur CNews ce mardi 19 mars 2019. La direction de la chaîne d’information du groupe Canal+ se pourléchait les babines à l’idée de recevoir ces deux monstres du débat, l’un de gauche, l’autre de droite ; l’un musulman, l’autre juif. Le débat, paradoxalement, était intitulé « Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ? »
Déjà, inviter ces deux personnalités était réducteur, un réflexe communautaire pas très républicain. Mais ça n’a pas empêché Pascal Praud, qui jouait les Paul Amar (qui à l’époque avait invité dans son 20 Heures sur France 2 Tapie et Le Pen), d’arbitrer la rencontre. Qui ne déboucha sur rien, ou pas grand-chose : Belattar veut islamiser la France par le biais de la Taqîya, et Zemmour est responsable des 50 musulmans abattus en Nouvelle-Zélande. Et nous là-dedans ?
On eût été content de voir ces deux hommes avancer sur un terrain français, se réconcilier à partir d’une plateforme commune, mais ce ne fut pas le cas. Chacun est resté arc-bouté en fond de court, renvoyant les balles dans les angles, histoire de faire souffrir l’adversaire. De vérités cosmiques, là-dedans, point. Des piques, des attaques, du rabaissement, prenons ça comme un échauffement.
Belattar à 10’53 : « Est-ce que vous vous prenez pour Charles Martel ? »
Belattar à 11’33 : « Là pour l’instant celui qui se comporte comme une racaille c’est vous, pas moi. »
Parfois, le débat prend un tour comique.
Belattar à 13’12 : « Non mais que vous le vouliez ou non vous avez une tête d’Arabe. que vous le vouliez ou non vous avez une tête d’Arabe, vous ressemblez à mon oncle Mahfoud au Maroc, vous avez une tête d’Arabe, physiquement, votre origine est trahie. Vous vous appelez comment Éric Zemmour, c’est quoi votre nom de famille ?
Zemmour : Zemmour.
Belattar : Ça veut dire quoi “Zemmour” ?
Zemmour : Olivier.
Belattar : En quoi ?
Zemmour : En berbère.
Belattar : Voilà. »
Zemmour ravalé au rang d’un vulgaire Arabe ! Mais il tend la main à Belattar.
Zemmour insiste sur leurs origines berbères communes : « Je pense qu’on est très proches en vérité, on a la même histoire exactement. Nos ancêtres auraient pu être copains. »
Il développe alors leur histoire commune – deux « Français de branche » – puis leur embranchement, entre ceux qui auraient choisi la France (les Zemmour) et ceux qui auraient choisi l’espace euro-africain (les Belattar). 20 minutes plus tard, Belattar, qui se définit comme afro-européen ou franco-marocain, tente encore de prouver à Zemmour qu’il est bien français, et un Français comme tout le monde. Belattar fait alors un pas de géant vers Zemmour : il va parler foot et nationalisme. Éric boit du petit lait (de chèvre) :
Belattar à 19’37 : « Je sais que je suis français assez bêtement. Quand l’équipe de France joue et ils perdent je suis pas bien. Quand l’équipe du Maroc joue je suis pas au courant. »
Ensuite, le débat prend un tour plus sérieux avec la problématique identitaire. Pour Belattar, les communautarismes ne se retranchent pas forcément, ils peuvent s’ajouter. C’est un rêve américain, pourrait-on dire... Cependant, sans vouloir pencher du côté de Yassine, quand il a émis l’idée que les rassemblements communautaires – on parlait des jeunes Algériens de France ou des Franco-Algériens qui manifestent leur joie en France pendant un match de l’équipe nationale... algérienne – n’étaient pas interdits aux autres communautés, il aurait dû parler du CRIF et du pouvoir de la communauté juive dans la politique et les médias. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? C’est pourtant le talon d’Éric.
Belattar explique que la majorité des Français de confession musulmane arrivent à être les deux, c’est-à-dire français et musulmans, et ce de manière apaisée. Ce que dénie Zemmour. Pour lui, porter le voile (ou une djellaba) c’est d’une certaine façon militer pour l’islam, c’est devenir un militant de l’islam. Le vêtement a une portée politique, ce que Belattar voudrait dissimuler.
Zemmour à 26’09 : « C’est une volonté de marquer le territoire, c’est une volonté de coloniser l’espace. »
Le débat sur la compatibilité entre Islam et République arrive à la 33e minute, sous l’impulsion de Pascal Praud, très effacé jusque-là (la peur de se faire tarter par deux Berbères ?). Zemmour envoie ses statistiques sur les quartiers (« 751 quartiers sensibles »), « 70% » d’arabo-musulmans en prison, et « la drogue » qui tient les cités. Belattar lui répond (aux échecs on appelle ça une préparation, c’est-à-dire un coup que l’adversaire n’a théoriquement pas prévu dans sa propre préparation)...
Belattar à 33’14 : « Pascal Praud on est d’accord, Éric Zemmour vient de dire “l’islam régit certains quartiers”. Je vous pose une question, vous présentez le journal ? Est-ce qu’on a déjà eu un fait divers où si quelqu’un a volé quelque chose dans un quartier on lui a coupé la main ? »
Contre-coup de Zemmour à 34’14 : « Vous savez ce que dit l’écrivain algérien Boualem Sansal, en parlant de ces quartiers que j’évoque ? Il dit “ce sont des républiques islamiques en herbe”. »
Il faut attendre la 36e minute pour que la religion juive arrive sur la table.
Zemmour à 36’45 : « Et puis tout simplement je vais vous dire ce qu’il s’est passé depuis 20 ans monsieur Belattar, ce que vous oubliez, c’est que dans ces quartiers où moi j’ai grandi, il n’y a quasiment plus de juifs, qu’il n’y a quasiment plus de chrétiens ! Mais si c’est vrai. Ils ont été chassés par quoi ? Chassés, oui chassés ! Ils se sont enfuis, ils se sont enfuis parce qu’on leur volait leur voiture, après on leur volait leur autoradio, après on leur cassait ceci, après on leur cassait cela. Après on les menaçait, après on violait leur fille... »
Praud apporte son témoignage dans la besace de Zemmour à 38’00 : « Pour le coup j’en connais beaucoup qui sont aujourd’hui dans des écoles confessionnelles juives parce que c’est très compliqué d’être juif en Seine-Saint-Denis ou à Sarcelles... »
À sarcelles, n’exagérons pas. À Aubervilliers, oui.
On se permet une petite pointe d’humour : c’est très compliqué de ne pas être juif à la télé, mais c’est une blague hein. Pourtant, cela résume le débat : quand Zemmour parle de Taqîya, cette stratégie de dissimulation que les musulmans adopteraient en France, terre chrétienne, pour prendre le pouvoir par le nombre et la ruse, Belattar devrait répondre que ce sont les juifs qui ont d’abord utilisé la Taqîya. Mais à un autre niveau que celui de la rue...
Ce que Zemmour reproche à Belattar et à travers lui aux musulmans français, c’est exactement ce que sa communauté a pratiqué pendant deux siècles, depuis les décisions de Napoléon à leur égard. Assimilation forcée pour les uns, ouverture à la vie publique pour d’autres, toujours est-il qu’une partie de la communauté juive en France a pratiqué la Taqîya dans les cercles de pouvoir. Mais ça, Belattar ne le sait pas, et c’est dommage, c’est un bel argument anti-Zemmour.
Plus globalement, cette confrontation de deux points de vue très opposés, national-sionisme contre islamo-gauchisme, peut produire de bonnes étincelles si une solution est trouvée par le haut, c’est-à-dire dans la réconciliation. Mais cela demande un effort, des concessions des deux côtés. Chez nous, à E&R, on a un peu de Zemmour, un peu de Belattar, et du Soral par-dessus qui cimente les contradictions. Certes, il y a 70% d’arabo-musulmans dans les prisons, mais les prisons ont toujours été remplies par le lumpenprolétariat. Et aujourd’hui, c’est qui le lumpenprolétariat ? Ce sont les habitants des cités. Donc ce n’est pas le fait d’être arabe ou musulman qui détermine la personnalité délictueuse, mais bien la situation sociale. Plus de 30% des taulards savent à peine lire et écrire. D’où l’importance de la question culturelle, et ethnique évidemment, surtout si l’on vient d’une partie de l’Afrique qui ne maîtrise pas la culture française. Et là on tourne un peu en rond, sauf si on sait qui a organisé l’immigration en France, au-delà de l’immigration de travail, qui était nécessaire. Là encore, on retombe sur les pattes de Zemmour et de sa communauté.
Ce que l’on pourrait reprocher à Belattar dans ce match, c’est de ne pas avoir assez travaillé l’Histoire. Quand on a un Zemmour en face de soi, il faut des arguments profonds. Seuls ces arguments-là peuvent le déstabiliser. Sinon on se fait étriller. Belattar s’en est plutôt bien sorti avec des vannes et des piques, plus quelques saillies bien senties (la charia qui régirait les cités), mais il faudra hausser son niveau de jeu. Quant à Zemmour, nous on veut bien débattre avec lui, avec Praud en arbitre de champ. On a de quoi contrer les concepts du national-sioniste de compétition. Malheureusement, on ne nous invite pas. Allez savoir pourquoi...