« On voit des choses terribles, inimaginables » : deux médecins congolais tirent le signal d’alarme sur l’augmentation dramatique des viols sur des tout petits enfants en République démocratique du Congo, « une catastrophe qui met en péril l’avenir même du pays ».
Présents à Londres pour la conférence sur les violences sexuelles en temps de conflit, le Dr Nadine Neema Rukunghu, radiologue, et le Dr Desiré Munyali, chirurgien-pédiatre et médecin légiste, travaillent tous deux à l’hôpital de Panzi, au Sud-Kivu, que le gynécologue Denis Mukwege a fondé pour aider les femmes violées à se reconstruire.
Cette réalité, les deux médecins la vivent au quotidien dans une situation post-conflit qui a laissé des « séquelles profondes » et qui conduit aujourd’hui à des exactions, « terribles, inimaginables ».
« La situation s’est peut-être calmée sur le plan des armes mais à l’hôpital on ne voit aucune différence. C’est même pire car l’impunité face au viol a un effet de contamination », déplore Nadine Neema Rukunghu.
Cette impunité, nourrie par la difficulté voire l’incapacité des autorités congolaises à identifier, trouver et poursuivre les coupables, en est arrivée à un point où même les enfants ne sont plus à l’abri.
« Il y a une banalisation de ces crimes qui affecte directement les enfants. Le nombre de violences sexuelles sur les enfants a augmenté. J’ai vu des atrocités commises sur des bébés de moins d’un an, violentées d’une manière qu’il est impossible de décrire », souligne le Dr Desiré Munyali.
« Je suis une mère, j’ai cinq enfants », ajoute sa collègue radiologue. « Il y a un mois on m’a amené une fillette de deux ans et demi, c’est-à-dire le même âge que ma cadette, toute ouverte, pleine de sang. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que ça fait. Et après on dit que la personne qui a fait ça, on ne la retrouve pas. C’est très décourageant et c’est une catastrophe car cela met en péril l’avenir même de notre pays. »
Car si les deux médecins arrivent à « réparer les corps », ils sont, malgré le suivi psychologique proposé aux victimes, beaucoup plus pessimistes quant à leur capacité à soigner les âmes.
Les auteurs des faits sont souvent des « civils, démobilisés de l’armée, mais qui n’ont pas été encadrés et qui ont cette culture de la violence », explique Nadine Neema Rukunghu. Habitués à l’horreur, persuadés de ne jamais être inquiétés par la justice, ils perpétuent le « cycle des traumatisés ». « On voit une volonté de faire mal, de détruire », dit la radiologue. Parfois d’anciennes croyances viennent aggraver le problème.
« Avec l’impunité, tout le monde peut se permettre de dire n’importe quoi », dit-elle. « Il y en a certains qui disent qu’on peut guérir du VIH si on couche avec une fille vierge. On a aussi eu deux fillettes violées parce qu’on a dit à un chercheur de diamants : si tu commences par coucher avec une fillette de moins de dix ans, après, en creusant, tu vas trouver un plus beau diamant. »
Seul remède face à ces exactions, des « punitions vraiment exemplaires », ce qui passe, selon les deux médecins, par un renforcement des moyens d’investigation pour réunir les preuves nécessaires à la justice.
Pour cela, il faut d’abord une prise de conscience et une volonté d’aborder le sujet. « Il y a cinq ans, dit le Dr Munyali, on n’en parlait pas. Les gens préféraient cacher, même refuser de l’aide. Le gouvernement lui, je ne sais pas si c’était la honte où un silence complice, ne voulait même pas en parler. Mais aujourd’hui ils sont là, ici à Londres, et vont en parler et je crois qu’ils vont prendre des décisions. C’est notre espoir. »