Trois ans après sa nomination à la tête de l’IMA, Jack Lang a doublé sa fréquentation et ramené l’institution culturelle à l’équilibre. Mais la vitrine des pays arabes se retrouve confrontée à l’après-13 novembre. Alors que les chèques de l’Arabie saoudite et du Qatar font débat.
Une brise d’une douceur inhabituelle souffle sur les bords de Seine et la place Mohammed-V. En ce jeudi 12 novembre, il règne un climat d’effervescence au huitième étage de l’Institut du monde arabe (IMA), derrière les moucharabiehs de la façade sud ardemment voulus par l’architecte Jean Nouvel. Voir sans être vu : c’est le principe des diaphragmes mécaniques qui filtrent la lumière. Une demi-douzaine de membres des services spéciaux qataris se glissent, à pas feutrés, dans le grand bureau d’angle de Jack Lang qui surplombe les quais. Inspection de routine à la veille de la visite du chef du gouvernement qatari. Qui pouvait imaginer l’immense déflagration du jour d’après ? Malgré les funestes attentats du « vendredi noir », la visite du Premier ministre du Qatar à l’IMA sera maintenue le surlendemain. Il y va de l’impérieuse nécessité de maintenir le dialogue avec les pays du Golfe sur fond d’urgence de « déradicalisation ».
« Que le wahhabisme soit né historiquement en Arabie saoudite n’est pas une découverte », soupire Jack Lang en réponse à la montée des doutes sur les relations privilégiées de la France avec l’Arabie saoudite et le Qatar, deux pays accusés de financer indirectement le fondamentalisme sunnite. Trois ans après son arrivée à la tête de l’IMA, alors en pleine dérive, et tout auréolé du succès public de sa politique de relance, l’ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, 76 ans, temporise. « Le wahhabisme n’est pas né d’hier. Que cette vision intégriste ait une influence dans différents pays arabes est incontestable. Mais il faut se garder des amalgames », nuance-t-il au lendemain de la visite du Premier ministre qui s’est conclue par un don de 2 millions d’euros. Une manne inespérée, destinée à la rénovation du bâtiment, au moment où l’institution trentenaire voit sa subvention rognée par le Quai d’Orsay. « Il y a salafisme et salafisme… » Mais n’en reconnaît pas moins que les attentats du 13 novembre rendent la tâche de l’IMA à la fois plus indispensable et plus compliquée. « On ne peut pas mettre l’Arabie saoudite et le Qatar sur le même plan. Leurs régimes politiques sont très différents », insiste le président de l’institut.
Une institution fragile
« Je ne fais pas de courbettes. Le roi du Maroc nous soutient beaucoup. Mais l’Arabie saoudite ne donne pas un centime », s’emporte-t-il quand on jette le doute sur les « mécènes idéologiques de la culture islamiste ». « Il n’y a plus de pays contributeur arabe, stricto sensu, depuis longtemps. C’est très bien ainsi. Même si on vit pauvrement, on vit librement. » De fait, nommé en 1996 par Jacques Chirac à la présidence d’une institution en pleine crise, Camille Cabana avait décidé d’en finir avec les cotisations annuelles des pays de la Ligue arabe, qui arrivaient toujours en retard et la mettaient en déficit chronique. Il leur a demandé de verser leurs arriérés à un fonds de dotation placé (de 50 millions d’euros) qui assure aujourd’hui une certaine trésorerie. Néanmoins avec un budget annuel plafonné à 23 millions d’euros (financé à 60% par le Quai d’Orsay), l’IMA a dû doper ses ressources propres face aux restrictions budgétaires. « Jack Lang a redonné une épaisseur à l’Institut, mais il ne comprend pas qu’il n’y a plus d’argent : c’est une question de génération, soupire un budgétaire, tout en fustigeant la « diplomatie de salon » du patron de l’IMA. Jack est totalement autonome : il va parler en direct à Hollande, mais on n’a pas besoin de lui pour avoir des relations avec le Qatar et l’Arabie saoudite. »