Invités à s’exprimer dans le cadre des auditions menées par les députés de la commission de la Défense et des Forces armées au sujet de la dissuasion nucléaire, les généraux Denis Mercier et Patrick Charaix, respectivement chef d’état-major de l’armée de l’Air (CEMAA) et commandant des Forces aériennes stratégiques (FAS), ont évoqué l’avenir de la composante aéroportée de la force de frappe française, que certains voudraient voir disparaître pour faire des économies.
« Disposer de deux composantes de la dissuasion nucléaire se traduit pour notre pays par un spectre plus large de modes d’action offert à l’autorité politique, au-delà du tout ou rien », a plaidé le général Charaix. Mais aussi par une « contrainte supplémentaire pour les défenses adverses qui doivent prendre en compte des modes de pénétration très différenciés » (balistique avec les sous-marins nucléaire lanceur d’engins – SNLE – et missiles de croisière ASMP-A pour les FAS).
En outre, cela offre une « une garantie vis-à-vis d’un problème technique majeur que rencontrerait l’une ou l’autre des composantes ou d’une percée technologique imprévue, par exemple dans les domaines de la défense aérienne ou anti-missiles balistiques ou de la détection sous-marine ».
Qui plus est – et cela a souvent été souligné ici-même – les FAS sont amenées à effectuer des missions conventionnelles, souvent grâce à leur entraînement particulier, qui les conduit à réaliser des raids sur de longues distances. Ainsi, si l’intervention militaire envisagée en Syrie avait eu lieu, des Rafale de l’escadron 1/91 Gasgogne auraient été sollicités pour tirer des missiles de croisière SCALP. Cette unité fournit actuellement des appareils pour l’opération Serval au Mali.
Le coût de la composante aéroportée ne représente que 7% du budget total alloué chaque année à la force de frappe française. Voire même seulement 3,5% si l’on ne prend en compte que les missions relatives à la dissuasion, maintien en condition opérationnelle inclus.
En clair, si l’on doit faire des économies, ce n’est pas en supprimant les FAS que l’on en fera. Et ce serait commettre une erreur majeure pour des gains dérisoires. « La mission nucléaire a également permis de développer de nombreuses compétences qui irriguent la base industrielle de technologie et de défense de notre pays. Certains programmes majeurs développés au profit des FAS concourent ou ont concouru à des applications directes dans des programmes civils ou militaires conventionnels », a ainsi expliqué le général Mercier.
« Comme vous le savez, il est assez facile de brouiller un système GPS. Lorsque j’assure à mes homologues que nos unités continuent à s’entraîner pour des actions dans des environnements denses sans GPS car elles doivent être en mesure d’agir en toute autonomie, ils sont éberlués et regrettent a posteriori d’avoir abandonné ce type de recherches. Mais nous-mêmes les aurions probablement abandonnées sans la mission de dissuasion », a-t-il insisté.
Quant à l’avenir immédiat des FAS, il est question de transformer prochainement l’escadron 2/4 La Fayette sur Rafale, de remplacer les avions ravitailleurs par des A330 MRTT (essentiels également pour la projection des forces conventionnelles) et de lancer une opération de « traitement d’obsolescences et d’amélioration a minima de certaines performances » des missile ASMP-A afin de « les adapter aux missiles anti-missiles connus ». Ce qui devrait prendre environ 10 ans.
Pour la suite, il s’agira de leur trouver un successeur et… de développer une nouvelle plateforme pour les tirer. « L’avenir de la dissuasion au-delà de l’horizon 2035 doit être préparé bien avant compte tenu des délais nécessaires à la conduite des programmes d’armement. Des décisions importantes devront ainsi être prises pour orienter les programmes de renouvellement des moyens actuels de la dissuasion », a ainsi expliqué le général Mercier, selon qui ces dernières « seront particulièrement structurantes sur les plans opérationnel et financier ».
S’agissant du successeur de l’ASMP-A, « deux projets sont actuellement à l’étude. L’un privilégiant la furtivité du missile, l’autre l’hypervélocité de celui-ci, avec des perspectives à Mach 7 ou 8 », a indiqué le CEMAA.
Et pour lui, la seconde solution est à privilégier. « En effet, la maîtrise de l’hypervélocité apparaît d’ores et déjà comme une donnée centrale. J’observe à cet égard qu’aux États-Unis, en Russie, en Chine, en Inde – autant de pays où la question de la modernisation de leur composante nucléaire aéroportée ne se pose même pas – des programmes expérimentaux de véhicules hypervéloces sont conduits. J’imagine avec peine que la France, pays qui jouit d’une avance incontestable en matière de statoréacteur, reste en marge de ces développements », a-t-il fait valoir, ajoutant que « cette technologie sera aussi, à n’en pas douter, utilisée dans le domaine conventionnel et ses développements intéresseront le monde civil ».
« Sur la composante aéroportée, il y aura, à l’horizon 2035, une rupture capacitaire à opérer, celle notamment de l’hypervélocité. Il faut donc engager un véritable travail, avec le CEA, avec MBDA, de recherche technologique sur notamment la résistance des matériaux et les propulseurs », a enchéri le général Charaix.
Quant la plateforme devant mettre en oeuvre ce nouvel engin, là encore, deux options sont à l’étude : « celle d’un avion de combat de nouvelle génération et celle d’un porteur lourd ». Pour le général Mercier, le choix se fera « en lien avec l’architecture et les performances retenues pour le missile qu’il devra tirer » et « le défi qui se pose est bien de retenir un système capable de pénétrer les défenses adverses qui seront déployées dans 20 à 50 ans tout en continuant d’irriguer le développement de capacités industrielles d’avenir pour l’industrie française », dans la mesure où « des progrès considérables sont faits dans la défense anti-missiles – interception de missiles balistiques ou interception de missiles de croisière ».
Dans ces conditions, le « Système aérien de combat futur » (SCAF) pourrait-il convenir ? Il « ne sera pas, à mon sens, un drone de combat ou un avion de combat mais la combinaison de plusieurs éléments : ce sera un véritable système », a estimé le général Mercier. « C’est sous cet angle que nous travaillons. La rupture technologique aujourd’hui, ce sont les liaisons de données. Nous l’intégrons dans ce système aérien de combat futur. L’agence européenne et l’OTAN y réfléchissent aujourd’hui dans le cadre de groupes de travail. C’est un véritable sujet en soi, y compris en ce qui concerne la place de l’homme dans le système, et il faudrait y consacrer une séance entière ! », a-t-il expliqué.