Les médias sont une loupe tenue par les maîtres du Système. Les exécutants des médias ne possèdent pas le pouvoir, ils relayent la parole dominante. Comme des gueux (de luxe) qui guettent les miettes du banquet pour les lancer à la foule. Mais ils font tellement corps avec le message qu’ils ont l’impression de le générer, de le délivrer librement, alors qu’ils ont justement été choisis pour leur soumission aux principes de ce message. Le relais de la parole dominante doit passer dans l’esprit de la majorité pour naturel, logique, sensé.
Les médiateurs peuvent choisir de grossir un micro-événement (en se ruant à 50 dessus), et d’ignorer un macro-événement. Mais ils ne choisissent pas, puisqu’ils savent très bien ce qu’il faut ignorer ou révéler, grossir ou minimiser. Leur carrière, leur réputation, leur confort mental en dépend : c’est cette capacité à faire le « bon » choix qui détermine leur place dans la hiérarchie médiatique. Une boulette et ils stagnent, ou régressent. Pour être aussitôt remplacés. La menace du remplacement est permanente. Et il y a toujours plus adapté, plus agressif dans le genre propagandiste. Ils séparent la bonne de la mauvaise information pour le Système. Ce qui devient une seconde nature fait l’employé zélé de la dominance.
Grossir un événement qui ne le mérite pas, ça s’appelle « surmédiatiser ». Qu’est-ce qui est surmédiatisé et qui ne le mérite pas, et pourquoi ? Inversement, qu’est-ce qui est sous-médiatisé et qui le mériterait ? En croisant ces deux faisceaux, on trouve tout simplement ce que le Système veut nous dire et nous interdire. Son Message, plutôt son injonction. Une ferme direction de pensée.
L’événement « Nuit Debout » est surmédiatisé. La souffrance de Finkielkraut aussi : en dehors du fait qu’il appartient à une communauté très organisée, il s’imagine incarner une dissidence intellectuelle. Il est au contraire totalement systémo-compatible. Idem pour Nuit Debout, une fausse opposition, une dissidence fabriquée. Elle ne remet pas les maîtres du Système en cause. Elle peut toucher à tout, sauf à eux : on l’a vu avec l’expulsion du « philosophe » (une fonction qui permet toutes les interventions politico-médiatiques). Nous sommes donc en présence de deux entités bien réelles – car Nuit Debout fédère quelques désœuvrés et Finkielkraut continue à s’exprimer partout – mais dont la fonction sociale réelle est cachée, détournée ou métamorphosée par les médias.
Ce qui est drôle avec ces tromperies, c’est qu’elles finissent toujours par se tamponner, et révéler leur vraie nature. Le Système ne peut pas tout contrôler. En l’occurrence, quand Nuit Debout a jeté Finkielkraut, les soi-disant dissidents du Système ont dénoncé un soi-disant dissident du Système, qui les a dénoncés en retour. Tout le monde a balancé tout le monde, les faussaires se sont entre-balancés, entre-tués médiatiquement, et la vérité est apparue. Pour notre plus grand plaisir. Une dissidence inoffensive s’en prend à un agent de l’Empire déguisé en philosophe.
Ce dispositif de duperie cognitive (ce que l’on voit n’est pas ce que l’on dit) permet de protéger le pouvoir profond de l’autre loupe, bien plus dangereuse, car difficilement contrôlable, qui part d’en bas, et qui vise uniquement ce même pouvoir.
La machine à changer un événement en ricanement s’empare de la Nuit Debout
Cyrille Eldin est le rigoleur attitré du Grand Journal. Son rôle consiste à changer l’actualité en rire, comme le ferait un magicien. Avec la Nuit Debout, il joue sur du velours, tant le mouvement est déstructuré. La chaîne qui a perdu toute subversion depuis longtemps charge un mouvement sociétal qui n’en a jamais eue. Tragi-comique, si l’on considère que des médiateurs surpayés autour de 40 000 euros par mois (mais le méchant gendarme Bolloré va changer ça) se moquent de gauchistes sans le sou un peu perdus. Ces derniers cherchent ensemble la justice, mais la justice sociale n’est pas là.
Même le gentil Frédéric Fromet de France Inter se moque de la Nuit Debout ! C’est dire…
Un qui ne se moque pas de Nuit Debout, et pour cause, il en prend la tête (et le melon), le penseur anticapitaliste Frédéric Lordon qui croit encore au danger « fasciste » se prend pour un mélange de Lénine et Jésus, tout simplement :
Sur terre, de l’autre côté du périph, pour paraphraser un titre de film très communautaire, des éléments de la population essayent d’agir pour améliorer leur quotidien, et celui de leurs enfants. Le rapport de la médiatisation entre cette nuit debout et la Nuit Debout est de l’ordre de un à cent.
Quand les médias se désintéressent ou s’intéressent à un cas, ils le font en général dans un ensemble parfait, à l’image des escadrilles d’étourneaux, ou de vautours. L’image est un peu brutale (tous les journalistes ne sont pas des paparazzis prêts à tuer pour un cliché du Prince Albert), mais il est normal qu’on s’intéresse à l’anormal, à l’extraordinaire. D’où la nouvelle définition de la violence : ce qui ressort de la normalité occidentale.
La « pauvre » Agnès Saal, à la tête d’institutions culturelles successives, a utilisé à son profit personnel et pendant des années de l’argent public. Condamnée, elle devra payer 3 000 euros, alors qu’elle a vraisemblablement détourné plus de cent fois cette somme. Les médias à bec crochu se sont précipités sur elle, chacun voulant son lambeau de chair. Elle en a si peu. Agnès – agneau au féminin – dénonce ici la « violence médiatique », mais oublie la violence morale qu’a signifié son comportement pour des millions de Français en précarité :
Il se trouve que parfois, la justice passe, punissant le bourreau et rétablissant la victime dans ses droits. Mais ce genre d’événement est rare. Voire rarissime. De plus, il ne faut pas se tromper de victime et de bourreau, car là aussi, les faux-semblants pullulent. De plus en plus de bourreaux tentent de se faire passer pour des victimes, afin de gagner la considération des foules, et récupérer, sait-on jamais, quelques prébendes. On appelle ça des « réparations ». L’argent tend à devenir le grand réparateur de la souffrance, réelle ou supposée, prouvée ou fantasmée.
La justice, voilà un concept nébuleux, et complexe. Chaque individu voudrait SA justice contre tous, chaque groupe humain voudrait sa justice contre un autre groupe humain. La justice des uns correspond donc à une injustice pour d’autres. La loi et ses représentants au milieu de cet océan d’injustices ont forte tâche, d’autant que les fonctionnaires de la justice ne disposent pas de moyens illimités. C’est même le contraire. La justice n’est pas la priorité du Système. Et pourquoi ? Parce que la justice et le profit – qui sous-tend la domination et l’ignorance – ne font pas bon ménage. Dans ce cas, la décroissance apportera-t-elle la justice ?