Deux ex-auteurs des Guignols tentent de faire rire avec le chômage. Pourquoi pas ? Las, quand on vient de la maison Canal, on ne connaît souvent du réel que sa caricature, et le résultat est forcément un échec. C’est l’histoire de trois ex-pôlemployés qui créent des chômeurs pour se faire ré-embaucher…
La vraie motivation, pour les « pôle employés », ce serait un salaire fixe et un pourcentage au nombre de chômeurs placés.
Proposons, proposons : un agent gère théoriquement 30 personnes par mois, ce qui donne 2 rendez-vous par jour ouvré. Très très jouable. Avec le changement ANPE/Pôle Emploi, certains agents ont dû gérer plus de 100 chômeurs. On se demande ce que foutent les 54 000 pôlemployés, avec leur budget de 5,2 milliards d’euros. Le tout, effectifs et budget, en croissance continue.
Mettons que ces 50 000 agents aient à traiter 5 millions de chômeurs (en vérité tous les inscrits ne passent pas à l’agence, c’est tellement déprimant de se faire traiter comme un malade social). Les chiffres 2013 donnent 23 000 agents pour 2 300 000 chômeurs « actifs ». Ce qui fait toujours une centaine par agent. Sur un mois de boulot, à raison de 22 jours ouvrés par mois, on arrive à 5 clients par jour. Pas la mer à boire, n’est-ce pas. Ceci dit, les agents ne font pas que rencontrer les chômeurs, il y a toute une partie du travail de recherche en agence, hors rencontre, et de formation. Mais bon, on s’en tiendra à cette moyenne.
Au lieu de pondre une idée « Canal » maigrelette, les deux humoristes auraient dû choisir le pitch suivant :
Les agents seront désormais payés au chômeur placé, une partie du salaire en fixe (misérable) et le reste en (grosses) commissions. Ceux qui n’assurent pas passeront de l’autre côté : double motivation !
En établissant par exemple 1 000 euros de prime pour l’agent devenu commercial par chômeur placé (en CDI, en CDD la prime sera moindre). Sinon, quelle motivation ? Même idée que les chasseurs d’apparts, qui pour un budget donné trouvent la meilleure affaire. Un paiement au résultat, un système qui tire la recherche d’emploi vers le haut, pas ce désastre national qu’on connaît depuis 40 ans et la naissance – programmée – du chômage de masse.
Oui mais voilà, malgré toutes les études et les contre-études, il faut bien l’avouer, la France n’est pas le pays de la valeur travail. C’est dû entre autres à notre qualité de vie et aux charges qui pèsent sur les petites entreprises. Une qualité de vie qui vient pourtant du travail de nos anciens et ancêtres. Aujourd’hui, qui a envie de bosser 70 heures par semaine ? Pas grand monde, à part les indépendants, les petits patrons, les artisans, les paysans... Quand on voit les salariés gauchistes d’i>Télé qui pleurnichent au lieu de prendre leur antenne en otage… et de frapper un grand coup !
On n’est pas ici pour faire de la retape au néolibéralisme et à la candidature Macron, qui en a balancé une bien bonne sur les 35 heures (en gros « c’est pas beaucoup 35 heures pour des jeunes »), mais il faut bien admettre que de se défoncer au boulot, c’est pas la vertu numéro un enseignée dans les écoles. Ce serait même plutôt le contraire : attention au patron, ce salaud, ce fasciste, qui engraisse sur la sueur du pauvre ! L’investissement dans le travail, hormis la soumission aux versements sociaux, c’est tout ce qui reste à ceux qui ne sont pas nés avec une cuiller en argent dans le bec.
Le grand problème dont hérite le Pôle Emploi, malheureusement, est celui de la formation scolaire et universitaire. Il y a un petit problème de réglage entre les compétences requises par le marché (de l’emploi, pas de la finance) et les compétences acquises dans le cursus scolaire. La gauche hurle que l’École ne doit pas se soumettre à l’Entreprise, mais alors, on fait comment ? On attend toujours la réponse de Montebourg et Mélenchon… à Alistair Cox, PDG très néolibéral de Hays, spécialisée dans les « compétences » :
« La lente reprise économique met en évidence un décalage croissant entre les besoins des entreprises et les compétences disponibles, beaucoup de chômeurs, notamment de longue durée, n’ont pas les qualifications dont l’économie a besoin. […] Pénuries toujours dans les mêmes secteurs : les technologies, l’ingénierie, les sciences. »
Alistair est évidemment pour la flexisécurité, une idée portée par Macron. Un système qui a permis au Danemark de ramener le taux de chômage à 4%. En s’appuyant sur des principes d’embauche/débauche ultra rapides, une protection sociale généreuse, mais surtout, une vraie formation des chômeurs. Il faut 12 semaines seulement, selon Les Échos, pour qu’un Danois retrouve du boulot. Attention, au bout de 2 ans, les indemnités chutent lourdement, ce qui incite alors à prendre le premier job qui passe. Vu l’évolution socio-économique de la France, on ne va pas y couper.
Pendant qu’on parle de navets et de chômage, pourquoi ne pas travailler dans le cinéma, qui a l’air de bien se porter chez nous, avec 300 films produits par an ?
S’il y a un domaine qui marche plutôt bien en France, et où la formation est plutôt bien adaptée au marché, c’est le cinéma. Malgré la production industrielle de navets, dont le dernier Dubosc-Zylberstein-Demaison est un merveilleux exemple. Mais la qualité intrinsèque des films importe peu, dans une analyse économique. La France est pratiquement le second producteur cinématographique mondial derrière les USA, si l’on excepte l’incroyable masse de bouses indiennes, dont les bobos raffolent tant. Dans ce secteur, nous explique L’Étudiant, l’emploi croît depuis 12 ans, mais reste précaire à 80%.
- Exemples de thèmes du concours de la Fémis, des films à étudier, et des présidents du jury
Avant, pour bosser dans le cinéma, il fallait soit y aller au culot – commencer par faire du « biroutage » dans les rues et quelques figu(rations) payées en cash –, soit être monstrueusement passionné (Spielberg), soit naître dans le bon milieu (« fils et filles de » des lobbies habituels).
Depuis une trentaine d’années, la filière s’est professionnalisée, et deux grandes écoles publiques, les très sélectives Fémis et Louis Lumière, sont en pointe pour entrer dans le saint des saints. Il y a aussi 20 licences universitaires dédiées, qui préparent à tous les métiers possibles de la branche, ainsi qu’un tas d’écoles privées qui fleurissent (à 8 000 euros l’année tout de même). Aux États-Unis, des universités se spécialisent carrément dans une seule branche de cette industrie, on pense au « scénario », ou à « la série TV ». Cependant, cinéma est synonyme de surboulot, de précarité, d’investissement personnel, et d’échecs possibles. Et en France, on n’apprend pas vraiment à ne pas craindre l’échec, ou à se relever d’un échec... plus fort, plus lucide. À moins de travailler dans la technique ou la prod(uction), plus stables, le reste est du domaine artistique, avec tous les risques que cela comporte. Mais cela n’empêche pas des milliers de Français, acteurs, réalisateurs en herbe, de rêver.
Relativisons. Au vu de la production nationale, du système d’aides du CNC, et du taux de remplissage très faible des salles (moins de 15% !), on se dit que malgré l’ouverture démocratique à toutes les catégories de population, c’est toujours la même oligarchie qui tient le truc : un milieu fermé, avec une poignée de décideurs, une préférence à l’embauche et un népotisme inimaginables.
À quand le retour d’un cinéma populaire français – on ne parle évidemment pas de Camping 3 ?