Les islamistes au pouvoir en Tunisie ont rejeté jeudi la formation d’un gouvernement de technocrates souhaitée par le Premier ministre et le principal syndicat a annoncé une grève générale vendredi, marquant une escalade de la crise déclenchée par l’assassinat d’un opposant.
Des heurts ont opposé quelques centaines de manifestants et policiers à Tunis et Gafsa (centre), après les graves violences de la veille qui ont fait un mort dans les rangs de la police dans la capitale. A Siliana (nord-est), des manifestants ont aussi brûlé le siège du parti islamiste au pouvoir Ennahda.
Le chef du groupe parlementaire Ennahda a opposé une fin de non-recevoir à la formation d’un gouvernement de technocrates apolitiques formulée la veille par le Premier ministre Hamadi Jebali, lui-même un dirigeant de ce parti.
"Nous avons refusé cette proposition (...). Le chef du gouvernement a pris cette décision sans consulter la coalition (gouvernementale) ni le mouvement Ennahda", a annoncé Sahbi Atig, alors que tout cabinet doit être approuvé par l’Assemblée nationale constituante (ANC), où Ennahda contrôle 89 des 217 sièges.
M. Atig a aussi souligné que faute de Constitution, le Premier ministre n’avait juridiquement pas "le droit de démettre de leur fonction les membres du gouvernement".
M. Jebali, un modéré au sein d’Ennahda, avait annoncé mercredi qu’il allait former un gouvernement apolitique pour désamorcer la crise politique aggravée par le meurtre de l’opposant Chokri Belaïd. Il ne s’est pas exprimé jeudi.
Cette annonce avait été bien accueillie par l’opposition et la société civile, alors que la Tunisie est dirigée depuis des élections d’octobre 2011 par une coalition dominée par Ennahda et comprenant aussi deux partis laïques de centre-gauche, dont celui du président Moncef Marzouki.
Emboîtant le pas à un appel de quatre partis politiques, la centrale syndicale historique UGTT, forte de 500 000 membres, a appelé à une grève générale vendredi, jour des funérailles de M. Belaïd.
La Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) a demandé jeudi aux autorités de protéger les personnalités politiques menacées. L’UGTT a d’ailleurs annoncé que son secrétaire général, Houcine Abbasi, avait reçu jeudi une menace de mort anonyme par téléphone dans la journée.
Ennahda pointé du doigt
Face aux risques d’instabilité, l’ambassade de France a appelé ses 25 000 ressortissants en Tunisie à la prudence et a annoncé la fermeture des écoles françaises (plus de 7 000 élèves) vendredi et samedi.
Le ministère tunisien de l’Enseignement supérieur a parallèlement décidé la fermeture des universités sur tout le territoire national de vendredi à lundi, alors les enseignants étaient en grève sur le campus de la Manouba, bastion de la gauche près de Tunis.
Les avocats et magistrats se sont mis en grève dès jeudi pour dénoncer le meurtre de Chokri Belaïd, un avocat défenseur des droits de l’Homme. A Tunis, les salles d’audience du principal tribunal étaient vides.
Une partie de l’opposition et la famille de M. Belaïd accusent Ennahda d’être responsable de son assassinat, un crime sans précédent depuis la révolution. Aucune avancée dans l’enquête n’a été annoncée jeudi.
Ennahda a rejeté ces accusations, alors qu’une milice pro-islamiste est régulièrement accusée d’attaquer les opposants au pouvoir en place.
Parallèlement, des opposants ont réclamé la dissolution de l’ANC, qui a été élue il y a 15 mois mais ne parvient pas à rédiger de Constitution faute de compromis sur lequel les deux-tiers des députés pourraient s’accorder.
"Le gouvernement n’est plus capable de gérer les affaires du pays, tout comme l’ANC. Ils doivent démissionner dans l’intérêt du peuple", a déclaré à radio Shems-FM, Béji Caïd Essebsi, ancien Premier ministre qui dirige la formation Nidaa Tounès.
Les violences politiques et sociales se sont multipliées ces derniers mois face aux espoirs déçus de la révolte de 2011 qui a renversé le régime de Zine El Abidine Ben Ali. La Tunisie est aussi déstabilisée par un essor de groupuscules jihadistes.