Hollywood est la plus grosse machine de guerre américaine. Un groupe de rap comme Public Enemy l’avait bien compris au début des années 90, eux qui scandaient « burn hollywood burn ». Ils revendiquaient que les films produits par Hollywood montrassent des hommes noirs un peu plus intelligents et un peu plus intégrés socialement. Ils obtinrent qu’un Will Smith s’imposât dans des personnages valorisés, en plus d’autres concessions. Ils firent avancer la machine idéologique du côté progressiste. Et on peut remonter ainsi de nombreuses années en arrière, à la chasse aux sorcières de Mac Carthy ou à la formation des grands studios d’Hollywood, pour comprendre que rien n’y est anecdotique là-bas, et que les Américains ne laissent pas une telle machine de propagande entre les mains de n’importe qui.
Mais la machine a encore de sérieux efforts éthiques à produire. Il y a deux ou trois semaines, voilà que je tombe sur un dessin animé où capitaine America se laisse convaincre d’envahir un pays où le président avait été démocratiquement élu. Il finit par accepter parce que le tyran opprime son peuple. Toute ressemblance avec des personnages ayant réellement existé n’est ni fortuite, ni involontaire. S’il s’agit de former l’esprit de la population, autant le faire dès le plus jeune âge...
La démocratie... en ce moment Hollywood semble sérieusement la remettre en question. Il ne suffit plus d’être une démocratie pour être légitime. Pire, à l’intérieur de la démocratie, des forces obscures agissant de manière antidémocratiques, peuvent être légitimes. Des trilogies comme « Batman » préparent les futurs petits Américains à défendre leur pays, envers et contre les idées qui ont forgé leur pays.
Batman est le pendant idéologique de capitaine América, sa face sombre et pourtant indispensable. La complexité politique et les implications psychologiques, des trois derniers opus de Batman relègue n’importe quel scénario propagandiste LGBT de « Plus belle la vie » à quelques années lumières de là. Car le film n’est pas seulement bien fait. Il est bien fait parce qu’il manie des idées complexes auxquelles il donne un tour subtil, même si c’est au service d’idées simplistes, en apparence. Autant le but est simpliste, autant il se justifie avec une pensée complexe, autant les idées sous-jacentes et cachées y sont merveilleusement travaillées. Ce film nécessite donc un décryptage politico-psychologique :
Batman begins :
L’idée simpliste : réussir à dépasser ses peurs pour combattre le mal. Le vrai combat : Le premier épisode de la série n’est qu’un parcours initiatique faustien chargé de fidéliser les adolescents, le message principal étant contenu dans le deuxième volet. A l’image d’un adolescent, Batman va apprendre à maîtriser sa force, à dépasser ses cauchemars, et surtout à distinguer la justice de la vengeance. Il y arrivera en choisissant l’exemple du bon père (son vrai père tué par les méchants, et relayé par Alfred) du mauvais père (Razalgoul qui veut dire « tête de diable » en Arabe (tiens... tiens... tiens...), mauvais père qui l’invite à se laisser aller à la destruction au nom de la justice).
L’ombre du World Trade Center plane sur cet épisode (la tour Wayne), et il pourrait se comprendre ainsi : nous avons formé des justiciers à employer tous les moyens possibles et imaginables (ligue des ombres = Al quaïda, Ben Laden et consorts). Il faut nous débarrasser de ces gens là. On ne peut tuer des gens au nom de la justice, on ne peut accomplir vengeance au nom du bien et à cause du mal commis, tout en se servant de moyens identiques au mal (mea culpa de la CIA ? Ou de l’Amérique toute entière ?). Dans ce rapport un peu inversé, c’est Al Quaïda qui forme Batman, tandis que dans la réalité c’est bien l’Amérique qui a formé Ben Laden. Dommage pour la cohérence scénaristique. En apparence, les Américains donnent une leçon à tous les fanatiques islamistes, en vérité, ils s’en donnent une.
Batman : the dark knight
L’idée simpliste : il faut se méfier des dangereux chinetocs dont le système mafieux justifie des interventions ponctuelles en terres étrangères. Le vrai combat : celui de l’intérieur contre le mal. Le joker, personnage du vrai mal, opposé au faux mal, celui des mafieux. Le faux mal cherche à faire de l’argent, il est intéressé, il existera toujours et les moyens de police suffiront à le contenir. Il est soumis au vrai mal. Le vrai mal, lui nécessite d’être combattu par tous les moyens. A tout moment, il risque de faire basculer le système. Il cherche à corrompre la foi des citoyens en leur faisant admettre que le bien n’existe pas ou qu’il ne mène qu’au mal. Le vrai mal fait le mal par pur mal. Il cherche à détruire l’idée de démocratie, il cherche à ce que le peuple perde confiance en lui.
Ainsi dans cet opus, le joker remet la survie des citoyens entre les mains des citoyens. Les citoyens sont répartis dans deux bateaux, les premiers qui feront exploser les autres seront sauvés. Si les deux se refusent d’exterminer leurs congénères, le joker fera exploser les deux bateaux. Résultat du dilemme : dans chacun des bateaux, malgré l’impossibilité de communiquer, les citoyens de chaque bateau feront confiance aux autres et refuseront de faire exploser leurs collatéraux (comportement social positif).
On voit ici, que le vrai mal truque les cartes du jeu, dès le début. Il semble donner le choix, mais oppose les comportements de survie personnelle à ceux de survie collective. Si le citoyen choisit sa survie personnelle, il devra en tuer d’autres, et sera victime à long terme de son choix immédiat (il se concevra comme un criminel avec tout ce que cela implique). Pour sortir de ce dilemme, il doit, non seulement faire confiance aux citoyens dans l’autre bateau, mais il doit se persuader qu’un super héros viendra les sauver du joker. Et c’est là que l’affaire se complique. Peut-on faire confiance aux citoyens censés nous protéger. Ou : les Américains peuvent-ils faire confiance à la moralité et à l’efficacité de leur gendarmerie. Si ce n’est qu’une question d’argent, l’affaire est pliée. Les gens intéressés sont aisément corruptibles. Il faut faire appel à d’autres forces.
Le deuxième vrai combat du joker, du mal, ne sera donc pas un combat pour s’approprier l’argent des mafieux, mais pour détruire la foi des justiciers en leur propre système. Face à cette triche, face à ce brouillage de cartes, le procureur, le chevalier blanc de la ville, le pendant démocratique de Batman, Harvey Dent, deviendra fou. En perdant celle qu’il aime sur un coup de hasard orchestré par le joker, il perdra tout sens à sa vie. Si la vie n’est faite que de hasard, il faut remettre le sort des événements à une simple pièce de monnaie, à un jeu de pile ou de face. Le chevalier blanc (système judiciaire) n’est devenu qu’une ordure, et seule la CIA et le FBI, non excusez-moi, seul Batman, avec l’aide de la police (ceux qui ne sont pas corrompus), pourront, en utilisant des moyens persuasifs (la peine de mort) et antidémocratiques (Batman et la police ne sont pas des élus) faire survivre la démocratie malgré la démocratie. Le chevalier noir doit rester dans l’ombre. Ces moyens antidémocratiques mis en œuvre, ne peuvent servir d’exemple au reste de la population qui, sinon, deviendrait encline à utiliser ces mêmes procédés. Or si la CIA et le FBI ont le droit de se jouer des lois, le simple citoyen n’y est pas autorisé. Pourquoi ? On ne le saura jamais.
Le film justifie l’utilisation de moyens antidémocratiques pour sauver la démocratie, mais il ne justifie pas pourquoi un citoyen aurait plus le droit de faire la justice qu’un Batman. Ah si ! Le reste de la population est bien moins efficace. La CIA avec ses supers armures, ses supers avions, peut intervenir dans le monde entier contre le mal, tandis que le citoyen Américain avec son seul droit de posséder un fusil à la maison semble bien ridicule. La conclusion quelque peu antidémocratique du film est que la démocratie n’est protégée que par la foi de ses citoyens, foi qui les autorise à agir contre le mal, au-dessus des lois pour les uns, et qui soude la population en ce qui concerne la masse des autres. Le joker s’acharne à détruire l’idée de démocratie, et il est illégitime.
Batman s’attaque à la démocratie, directement par les moyens qu’il emploie, mais il est légitime. Ainsi un esprit chagrin pourrait en conclure que l’Amérique n’est pas une démocratie mais une théocratie, et que sa force réside, depuis des années, non pas dans des institutions démocratiques qu’ils contestent de plus en plus aux autres, mais dans leur religion. Et pire pour un esprit français : qu’il n’y a pas de démocratie sans religion, qu’une démocratie sans religion est vide de sens, inapte à se prémunir d’un mal qu’elle ignore ou dont elle rejette l’existence. Ce deuxième opus est sans conteste le meilleur. La force du récit a ébranlé le citoyen religieux et Français que je suis. Mais cela m’a fait encore plus rigoler qu’un journal, soit-disant de gauche, le Nouvel Observateur, puisse défendre ce genre de conception. Ah désirs mal assumés de foi, quand vous nous tenez...
Batman rises :
L’idée simpliste : il faut toujours rester sur ses gardes contre les méchants communistes dont les idées meurtrières peuvent resurgir à tout moment dans une société en crise.
Le vrai combat : le vrai combat est un mauvais remake du précédent. Mêmes mécanismes d’opposition entre citoyens. Les méchants sont toujours des gens qui ne calculent pas leur profit, mais qui se servent des appétits des autres pour assouvir leur pulsion de mort. Ici, les autres sont les argentiers de Wall Street, les grands financiers, dont certains, corrompus, sont prêts à traiter avec le mal.
Le thème des disparités sociales accentuées par la crise y est abordé. Des lois antidémocratiques ont été votées sur la base d’un mensonge : les prisonniers n’ont plus le droit à des remises de peines. Cette mesure coup de poing a permis de réduire à néant la criminalité (vision simpliste du traitement de la criminalité par d’uniques mesures coercitives) mais le mensonge sur laquelle elle est basée sera révélé, et affaiblira ainsi les bases de la démocratie en servant de justification aux insurgés. Conclusion partielle de l’opus : Il faut parfois se salir les mains pour faire fonctionner une démocratie mais il ne faut jamais révéler ce genre de petits arrangements à la population.
Encore une fois, le vrai combat, est un combat personnel, d’individus en crise de foi (c’est le commissaire qui révèle involontairement l’arnaque alors même que sa conscience le torture). Quant à Batman, il s’est laissé aller. Cet aristocrate américain (vivant dans un beau château néogothique avec un intérieur classique), sûr de sa position, s’est embourgeoisé, et il devra retrouver la force en lui pour se relever et revenir à son meilleur niveau, malgré l’âge, malgré la fatigue, malgré les déceptions amoureuses. A cette fin, il devra se remettre en position de danger, en position de perdre la vie.
Plus intéressants sont les personnages du mal. L’Amérique nous met en garde contre un nouveau danger : le mal issu des drames familiaux. Batman, victime du mal dans son enfance, le combattra. Il en est d’autres qui, victimes du mal, se tourneront vers lui pour faire encore plus de mal. Et le mal nous envoie ses filles, des filles qui veulent accomplir le destin de leur père, des filles nées d’amours impossibles. Celles là veulent détruire le monde parce qu’on a détruit leur père. Le film laisse beaucoup d’interprétations quant aux motivations de ses personnages. Un gros lourdeau protecteur qui serait amoureux de celle dont il a la charge (Bane, beau-père, père de substitution) et qui serait prêt à tout pour assouvir les désirs de sa dulcinée. Une fille qui voudrait venger son père dont elle a été éloignée (Raz Al Ghul, drame des pères divorcés) ou une fille qui a eu le mauvais exemple de père (Talia Al Ghul), ou tout cela à la fois.
Ici, comme ailleurs, le scénario est moins profond que le précédent Batman. Mon idée est que les scénaristes ne savaient pas exactement ce qu’ils désiraient exprimer, soutenir les filles-mères, faire un pamphlet anti-pères du divorce, exalter les beaux-parents. Toutes ces idées confuses et basses, ne pouvaient pas déboucher sur un épisode aussi réussi que le précédent. Quand on quitte le terrain psychologico-politique, voilà nos Américains un peu moins assurés. Les drames familiaux semblent avoir miné les scénaristes qui ne s’en sont pas sortis par le haut. Toujours est-il qu’il faut faire confiance à la police, et que de nouveaux petits spectateurs orphelins pourront s’identifier à la cause et devenir les nouveaux batmans d’un futur monde en crise. Il faudra toujours des policiers en dehors du système (et parfois même en dedans) pour faire le sale boulot. La CIA est sauve. To be continued.
Conclusion : l’idée de la démocratie sans la démocratie, une démocratie assise sur la foi, sans aucune justification morale sociale (protestantisme évangélique dans ce qu’il a de pire), des petits bijoux de réalisation, et de complexité scénaristique, une morale du dépassement individuel : nos adolescents feront-ils la part du bon et du moins bon ? Je n’en suis pas convaincu quand je vois comment la critique est incapable de percevoir les implications inconscientes de tels films et ce qu’ils nous suggèrent pour notre vie de tous les jours.