« Réécriture de l’histoire, manipulation mémorielle, propagande idéologique... » Philippe Pichot, historien, chef de projet développement du château de Joux dans le Jura (lieu d’incarcération de Toussaint Louverture), et membre du CPMHE (1) ,n’a pas aimé les libertés que le réalisateur Philippe Niang a prises avec la réalité historique dans son téléfilm, Toussaint Louverture.
« Mettre en scène un tel personnage qui, dans l’histoire universelle, surgit comme le déclencheur de la première abolition de l’esclavage, l’initiateur de la première indépendance d’une colonie indigène (Haïti) et la première figure du pouvoir noir, méritait un minimum de sérieux. »
La productrice du film, France Zobda, assure du contraire : « Nous nous sommes adressés à trois historiens, un Haïtien, un Américain et un Français, afin de comparer, recouper et corroborer le fruit des différents travaux de recherche car, nous voulions que notre film soit le plus proche de la réalité. »
Alain Foix, coscénariste et auteur de la biographie Toussaint Louverture chez Folio-biographies, se souvient de la bagarre menée avec la chaîne et les autres scénaristes pour que la réalité soit respectée.
« Oui, admet-il, Philippe Pichot a raison sur tout. Mais il vaut mieux un mauvais téléfilm sur Toussaint Louverture que pas de téléfilm du tout. »
Philippe Niang justifie son parti pris par la nécessité d’édifier des héros historiques : « Toussaint Louverture fait partie de ces icônes, quitte à tordre le cou à la vérité historique, au nom de la vraisemblance idéologique... C’est pourquoi j’ai mis en scène des épisodes qui pour n’être pas tangibles n’en sont pas moins crédibles comme l’assassinat par noyade du père de Toussaint. »
En fait, le père de Toussaint Louverture est mort presque centenaire vers 1804...
Le film montre encore Toussaint et sa famille enchaînés, marchant en plein hiver dans la neige, frappés par des soldats alors qu’ils vont au Fort de Joux.
« La séparation de la famille a eu lieu en juin à Saint-Domingue » , s’étouffe presque Philippe Pichot.
À un autre moment du film, le médecin qui vient visiter Toussaint dans sa geôle est présenté comme un simple maréchal ferrant.
« Seuls l’officier de santé de l’armée ou le médecin local était autorisé à voir Toussaint dans sa cellule ! » , poursuit l’historien qui tient une liste longue comme le bras des contre-vérités dans le film.
« J’aurais à déplorer, note Alain Foix, l’absence de personnages comme l’abbé Grégoire, du club des « Amis des noirs » , qui auraient complètement raccordé cette fiction à la grande histoire de France plutôt que d’en faire une histoire d’Haïti contre la France et parfois même, des Blancs contre les Noirs.
Je me suis longtemps battu pour qu’on ne fasse pas dire à Toussaint s’adressant à Napoléon ce qu’il n’a jamais dit : « Du premier des Noirs au premier des Blancs » . C’est une citation malheureuse de Lamartine. Toussaint n’a jamais opposé les Noirs aux Blancs. C’est hélas ce qui restera. »
Faire un film sur un homme décrit comme un précurseur par Aimé Césaire, un modèle des luttes pour les indépendances et contre l’apartheid ou pour les droits civiques était une nécessité parce que l’image de Toussaint Louverture et son histoire sont totalement absentes dans notre mémoire collective.
« Mais, regrette Alain Foix, la puissance de la télévision imprime les imaginaires et ce qui reste d’une histoire fausse devient le vrai. En cela, je partage l’inquiétude de Philippe Pichot » , même s’il trouve le film utile et plaisant.
(1) Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage.