Si le progressiste est obsédé par l’avenir, le réactionnaire voue un culte au passé. La série James Bond a connu son apogée de scientisme avec l’acteur Pierce Brosnan. Gadgets improbables, cascades absurdes, technologies au centre de tout constituaient le cocktail un peu amer, à l’instar de la vodka martini, qui a fait décrocher tant de monde de la célèbre enseigne britannique.
Concurrencé par les très efficaces films sur l’espion amnésique Jason Bourne, 007 a dû revenir aux recettes anciennes afin de retrouver sa crédibilité originelle. Depuis Casino royale, Quantum of Solace et maintenant Skyfall, l’agent secret britannique a troqué les bagnoles invisibles et autres foutaises contre des kilos de muscles et son Walther PPK. La simplicité a remplacé la complexité de la technique. Le retour aux sources a été préféré à la confiance aveugle dans l’avancée scientifique.
Les James Bond incarnaient l’idéologie du progrès à merveille. Selon cette optique, se retourner équivaut à mourir à petit feu. Avec Roger Moore, James Bond était le type même de l’homme moderne. Sûr de sa domination technique, il pouvait se permettre une désinvolture et un certain mépris pour les prouesses physiques. Les blagues et la technologie ont pris le dessus sur la force morale et physique.
Dans les trois derniers épisodes de la série, on remarque un James Bond au bord du doute, à la recherche incessante de l’alliance nécessaire du corps et de l’esprit. Les méthodes simples, « à l’ancienne », sont privilégiées. Le dernier opus, Skyfall, joue parfaitement sur cette nostalgie du passé. Le MI6 a commis de nombreuses erreurs qui ont mis en danger la couverture de ses agents. Il faut donc faire appel à l’agent en bout de course Bond.
Là encore, le film va à l’encontre des codes contemporains qui déifient la jeunesse et méprise grassement la vieillesse, forcément décadente puisque n’ayant plus qu’un pied dans l’avenir. Victoire de Bond, l’ancien, sur les jeunes crétins de l’agence. Retour à l’enfance, aux racines du passé permettant seules de s’ancrer durablement dans l’avenir. C’est en puisant dans ses origines que Bond va réussir à terrasser son ennemi. Cette sanctification du passé est peut-être aussi le doux espoir britannique de rêver à nouveau à la gloire des années passée, au temps où l’Union Jack flottait sur tous les océans et continents du globe.
Le nouveau James Bond n’est plus un gamin prétentieux et insolent. Il a grandi et muri, rentrant ainsi sereinement dans l’âge adulte. Il assume clairement sa virilité à l’inverse de la promotion inquiétante et actuelle de la fiottasserie androgyne. Il n’hésite pas à recourir à la violence et à défier l’autorité contrairement aux petits kapos contemporains qui se baignent dans la compromission et dans le recours permanent à la violence indirecte.
Il a fait sienne la maxime de Buffon « Le style est l’homme même. » C’est pourquoi, on voit Daniel Craig arborant un style vestimentaire classique car indémodable. À la fin, accoutré de son Barbour, il dégaine un vieux fusil de chasse. Ce vieux chasseur qui défend sa terre ne correspond absolument pas à l’obsession moderne pour le déracinement et l’abolissement des frontières.
Au fond, James Bond trouve toujours son public parce que l’homme moderne rêve à travers lui de redevenir un homme au sens des philosophes grecs, du chevalier ou de l’honnête homme du XVIIème siècle. En clair, un homme alliant une maîtrise corporelle et morale, maniant aussi bien la force physique que la force de l’esprit et qui trouve dans la connaissance du passé la force de vivre le présent et d’affronter l’avenir.
Tout le contraire de la sensiblerie actuelle aboutissant à transformer l’homme contemporain en une demi-femme ne respectant ni les valeurs du passé, qui sont nécessairement réactionnaires, ni son corps, à travers l’apologie de l’androgynie, ni son esprit, le désir et sa satisfaction immédiate ayant remplacé tout effort de lecture et d’apprentissage du monde qui l’entoure. C’est en regardant le célèbre espion qui subit ces contraintes à sa place qu’il peut s’endormir tranquille dans les bras de Morphée à la recherche du rêve où il pourra enfin être l’homme qu’il ne sera jamais.