Ceux qui ont l’impression que nos représentants de la caste médiatico-politique exagèrent la montagne Daech ne se trompent pas. Cela rappelle les classements par les médias américains, bien aidés en cela par les autorités du même pays, qui établissaient que l’armée de Saddam Hussein, avant l’assaut du 17 janvier 1991, figurait au troisième rang mondial. La coalition de 28 pays, qui enverra plus d’un demi-million de soldats sur le sol koweïtien, puis irakien, réalisera l’importance du mensonge un peu plus tard, une fois le pays multimillénnaire pulvérisé.
Aujourd’hui, en 2015 et en France, malgré des tueries bien réelles d’équipes terroristes bien entraînées et organisées, sans toutefois l’ombre d’une revendication, à part un pauvre speech au Bataclan devant les victimes, le mouvement continue avec une exagération des forces de Daech sur le terrain syrien. Les lecteurs d’E&R savaient déjà que les "spécialistes" de tous les domaines s’étaient ligués pour livrer au téléspectateur moyen le fantasme d’un État islamique tout-puissant, à la tête d’un pays grand comme la France, de dizaines de milliers de véhicules (pour 30 000 combattants à peine), de puits de pétrole lui garantissant des revenus "quasi illimités", et de fonds bancaires de départ (oubliés par les autorités de Mossoul en fuite) avoisinant les 400 millions de dollars.
C’était le 10 février 2015 sur Arte, dans l’émotion des attentats de janvier. Les « spécialistes » en question avaient, en l’espace d’un documentaire puis d’un débat, construit l’image d’un Daech presque invincible, malgré d’évidentes contradictions dans le discours. Dix mois plus tard, on parle de 2000 milliard de dollars, de 140 succursales bancaires, et de très abondantes ressources naturelles. Un ennemi est né.
L’infantilisation du public français n’est pas près de s’arrêter.
C’est l’une de ses principales forces. Le groupe terroriste Daech est à la tête d’une fortune considérable. 2 000 milliards de dollars (1) au total, estiment Damien Martinez et Jean-Charles Brisard dans un rapport publié en octobre 2014 pour Thomson Reuters et dont la version actualisée doit être publiée à la fin de ce mois. Pétrole, gaz, phosphate, blé, orge, coton… l’État islamique a mis la main sur d’importantes ressources naturelles en Irak et en Syrie. Il contrôle aussi 140 succursales bancaires dans ces deux pays. Les explications de Jean-Charles Brisard, expert en financement du terrorisme et président du Centre d’Analyse du Terrorisme (CAT).
Novethic. Vous estimez à 140 le nombre de succursales bancaires contrôlées par l’État islamique en Irak et en Syrie. Quelle somme cela représente-t-il ?
Jean-Charles Brisard. Nous n’avons pas pu étudier chacune des banques, mais au 31 décembre 2013, soit six mois avant la prise de Mossoul, nous estimions qu’elles géraient au moins 1,1 milliard de dollars. Ce sont des banques de dépôt, qui ne font plus de transactions internationales puisque Daech n’en a pas besoin. En effet, toutes leurs transactions se font sur place. Difficile par conséquent de mettre en place des sanctions au niveau international. Les sanctions onusiennes, comme le gel des fonds, sont donc sans effet. Contrairement à Al-Qaïda qui dépend principalement de donations extérieures, Daech a réussi à construire un modèle économique autofinancé à hauteur de 82% et extrêmement diversifié, donc beaucoup plus difficile à appréhender.
Novethic. Daech s’appuie notamment sur des ressources pétrolières. Comment parvient-il à écouler ce pétrole ?
Jean-Charles Brisard. L’État islamique détient une vingtaine de champs pétroliers qui génèrent chaque année 600 millions de dollars. Mais il a aussi mis la main sur des gisements de gaz, sur la production de phosphates et sur des cultures de blé, d’orge, de coton… Au total, 60 % des revenus de Daech proviennent de ressources naturelles contre 40 % de sources criminelles (rançons, extorsions)...