Sarkozy reçu par le CRIF : faut-il encourager le communautarisme ?
Telle est la question qu’il est légitime de poser avant la tenue du dîner annuel du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), en présence de la plus haute autorité de l’Etat, le président de la République, M. Nicolas Sarkozy.
"Traditionnellement", c’est-à-dire depuis que les responsables politiques se rendent à des dîners-convocations d’organisations communautaires, c’était au Premier Ministre en particulier qu’il revenait d’essuyer les critiques concernant la politique étrangère de la France au Proche-Orient. Avec l’actuel Président, il est fort probable que le ton soit plus coopératif… mais le débat n’est pas là !
Les responsables politiques qui se livrent à cet exercice, et le chef de l’Etat en particulier, envoient en effet un message implicite parfaitement compris par les autres organisations communautaires : Organisez-vous en groupes de pression religieux, ethniques ou sexuels, nous répondrons favorablement à vos revendications et vous considérerons comme des interlocuteurs institutionnalisés des pouvoirs publics...
Invitation cachée qui n’est pas restée lettre morte puisque se sont multipliées ces dernières années les organisations communautaires à prétention représentative pour les Noirs (Conseil Représentatif des Associations Noires), les Arméniens (le Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France), les homosexuels (Inter LGBT), les musulmans (par glissement du rôle du Conseil Français du Culte Musulman du cultuel vers le communautaire), etc.
Le CRIF, exemple jalousé.
Ces organisations, de taille modeste, bénéficient de la part des acteurs politiques d’une mansuétude troublante si l’on s’en tient à une scrupuleuse philosophie républicaine, tombée il est vrai en désuétude dans les élites, qui ne reconnaît théoriquement que des citoyens quelle que soit leur origine ethnique ou leur pratique religieuse, et non des groupements communautaires organisés comme de véritables corps intermédiaires. Le CRIF, du fait de son indéniable réussite, est l’évidente matrice copiée et jalousée par les autres organisations communautaires.
De l’affirmation d’une représentativité problématique (comment être représentatif des "Juifs de France " par exemple, si ce n’est en réduisant le vaste éventail d’opinions qui existent parmi les individus de culture juive ?) à celle de méthodes de lobbying ayant fait leur preuve (de la campagne de pression, à l’organisation du dîner annuel qui scelle la connivence entre les élites politiques et les responsables communautaires), le CRIF constitue un modèle pour ces organisations. Modèle à double tranchant car l’influence supposée du CRIF nourrit en retour le ressentiment des entrepreneurs communautaires en herbe, et excite parfois un antisémitisme bien réel sur l’air connu du "ils ont tout, nous n’avons rien".
Une France multicommunautarisée ?
Alors que l’une des priorités de responsables politiques lucides devrait être de consolider le modèle républicain de la citoyenneté dans une France travaillée par des idéologies inégalitaires, une pression migratoire constante et la disqualification du patriotisme, il est navrant de constater que le gouvernement et la quasi-totalité de l’opposition vont se rendre au dîner annuel du CRIF, et le justifier, suprême paradoxe, en invoquant un "moment républicain" auquel il conviendrait d’assister ! Ils dessinent ainsi l’avenir d’une France multicommunautarisée, structurée autour d’une pluralité d’identités souvent floues et parfois incompatibles les unes avec les autres, co-organisée par des entrepreneurs communautaires, seul remède proposé à l’inégalité générée par l’empire incontesté du marché.
Demain, au nom de l’égalité républicaine, seront institutionnalisés d’autres dîners communautaires, car comment refuser aux uns ce que l’on concède aux autres ? Dans cet avenir radieux, la République n’est plus qu’une posture hypocrite pour politiques en mal de grands discours, et l’intérêt général un principe qui sera réservé aux recherches des archéologues et des historiens.
Julien Landfried, directeur de l’Observatoire du communautarisme, et auteur de "Contre le communautarisme" (Armand Colin, 2007), tribune publiée par Rue89.com, 13 février 2008.
Source : http://www.communautarisme.net
Telle est la question qu’il est légitime de poser avant la tenue du dîner annuel du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), en présence de la plus haute autorité de l’Etat, le président de la République, M. Nicolas Sarkozy.
"Traditionnellement", c’est-à-dire depuis que les responsables politiques se rendent à des dîners-convocations d’organisations communautaires, c’était au Premier Ministre en particulier qu’il revenait d’essuyer les critiques concernant la politique étrangère de la France au Proche-Orient. Avec l’actuel Président, il est fort probable que le ton soit plus coopératif… mais le débat n’est pas là !
Les responsables politiques qui se livrent à cet exercice, et le chef de l’Etat en particulier, envoient en effet un message implicite parfaitement compris par les autres organisations communautaires : Organisez-vous en groupes de pression religieux, ethniques ou sexuels, nous répondrons favorablement à vos revendications et vous considérerons comme des interlocuteurs institutionnalisés des pouvoirs publics...
Invitation cachée qui n’est pas restée lettre morte puisque se sont multipliées ces dernières années les organisations communautaires à prétention représentative pour les Noirs (Conseil Représentatif des Associations Noires), les Arméniens (le Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France), les homosexuels (Inter LGBT), les musulmans (par glissement du rôle du Conseil Français du Culte Musulman du cultuel vers le communautaire), etc.
Le CRIF, exemple jalousé.
Ces organisations, de taille modeste, bénéficient de la part des acteurs politiques d’une mansuétude troublante si l’on s’en tient à une scrupuleuse philosophie républicaine, tombée il est vrai en désuétude dans les élites, qui ne reconnaît théoriquement que des citoyens quelle que soit leur origine ethnique ou leur pratique religieuse, et non des groupements communautaires organisés comme de véritables corps intermédiaires. Le CRIF, du fait de son indéniable réussite, est l’évidente matrice copiée et jalousée par les autres organisations communautaires.
De l’affirmation d’une représentativité problématique (comment être représentatif des "Juifs de France " par exemple, si ce n’est en réduisant le vaste éventail d’opinions qui existent parmi les individus de culture juive ?) à celle de méthodes de lobbying ayant fait leur preuve (de la campagne de pression, à l’organisation du dîner annuel qui scelle la connivence entre les élites politiques et les responsables communautaires), le CRIF constitue un modèle pour ces organisations. Modèle à double tranchant car l’influence supposée du CRIF nourrit en retour le ressentiment des entrepreneurs communautaires en herbe, et excite parfois un antisémitisme bien réel sur l’air connu du "ils ont tout, nous n’avons rien".
Une France multicommunautarisée ?
Alors que l’une des priorités de responsables politiques lucides devrait être de consolider le modèle républicain de la citoyenneté dans une France travaillée par des idéologies inégalitaires, une pression migratoire constante et la disqualification du patriotisme, il est navrant de constater que le gouvernement et la quasi-totalité de l’opposition vont se rendre au dîner annuel du CRIF, et le justifier, suprême paradoxe, en invoquant un "moment républicain" auquel il conviendrait d’assister ! Ils dessinent ainsi l’avenir d’une France multicommunautarisée, structurée autour d’une pluralité d’identités souvent floues et parfois incompatibles les unes avec les autres, co-organisée par des entrepreneurs communautaires, seul remède proposé à l’inégalité générée par l’empire incontesté du marché.
Demain, au nom de l’égalité républicaine, seront institutionnalisés d’autres dîners communautaires, car comment refuser aux uns ce que l’on concède aux autres ? Dans cet avenir radieux, la République n’est plus qu’une posture hypocrite pour politiques en mal de grands discours, et l’intérêt général un principe qui sera réservé aux recherches des archéologues et des historiens.
Julien Landfried, directeur de l’Observatoire du communautarisme, et auteur de "Contre le communautarisme" (Armand Colin, 2007), tribune publiée par Rue89.com, 13 février 2008.
Source : http://www.communautarisme.net