Dans un livre, Khalil Al-Doulaïmi raconte sa version de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, du procès et de l’exécution de Saddam Hussein par le nouveau pouvoir irakien (selon lui, Hussein serait mort non de pendaison – la corde était délibérément trop longue- mais de multiples coups mortels, la corde au cou) au mépris des recommandations américaines.
Comment s’est passée votre rencontre avec Saddam Hussein ?
C’était tendu. Je ne connaissais pas Saddam Hussein avant. Je n’étais pas même de ses sympathisants. Je me méfiais de lui comme de son premier cercle et j’avais de nombreuses réserves quant à sa politique. J’ai eu la conviction qu’il était courageux, patient. Qu’il avait une vision nationale, mais aussi pan-arabe, très large.
Cette impression, je l’ai eue jusqu’au bout. Il savait que le pire pouvait arriver jusqu’au bout. Néanmoins, il n’excluait pas qu’une détente arriverait qui pourrait modifier son sort.
Vous parlez de réserves. Quelles étaient-elles ?
Il faut savoir que les aspects de sa personnalité qui ont été montrés ne sont pas conformes à la réalité. Saddam Hussein était entre le marteau et l’enclume : tout son entourage le craignait et avait donc un comportement courtisan avec lui.
D’un autre côté, les pressions internationales reposaient sur une diabolisation du régime. Il était pris entre les deux, et a eu des comportements catastrophiques.
Par exemple, l’invasion du Koweït en 1991, même si les Koweïtiens avaient exagéré en creusant des puits de travers pour accéder aux réserves irakiennes et en empiétant sur les frontières durant la guerre contre l’Iran. Beaucoup d’Irakiens et d’Arabes ont des réserves sur cette invasion.
Que pensez-vous du massacre des Kurdes à l’arme chimique en 1988 ?
Je ne suis pas du tout d’accord avec votre propos. J’ai vu, moi, les rebelles kurdes collaborer avec les forces iraniennes durant le conflit. Ils ont facilité l’entrée des Iraniens dans de nombreuses régions, comme à Halabja par exemple.
Les Irakiens et les pays arabes en général considèrent l’Iran comme l’ennemi n°1 (même s’il faut rappeler que c’est l’Irak, et non l’Iran, qui a déclenché la guerre Iran-Irak de 1980-1988 qui a fait autour d’un million de morts, ndlr). Et l’Iran a toujours soutenu les rebelles kurdes, surtout depuis le traité de 1975.
Les Kurdes d’Irak jouissaient d’un statut bien meilleur que les Kurdes de Turquie. Saddam Hussein a toujours voulu un Kurdistan autonome. Le traité de 1975 a été une grande concession à l’Iran, pour calmer cette région.
Mais ils ont collaboré avec l’ennemi et selon la loi, c’est une trahison majeure. Saddam Hussein lui-même donnait des millions de dollars aux deux leaders kurdes Jalal Talabani et Massoud Barzani afin qu’ils les redistribuent à leur peuple, même après 1991 ! Une grande partie de ces dons aboutirent dans des comptes suisses… Concernant Halabja (mars 1988, 5 000 personnes tuées en quelques minutes par des bombardements au gaz moutarde, ndlr), l’Irak disposait effectivement du gaz moutarde, mais pas du cyanide comme il a été dit.
Pour l’individu que vous êtes, cela représente quoi d’avoir défendu juridiquement un dictateur qui a des morts sur la conscience ?
Comme vous l’avez dit, j’ai l’ai défendu juridiquement durant son procès. A l’extérieur, je suis un citoyen irakien, et il est de ma responsabilité de dire les choses comme je les ai vues.
Saddam Hussein était le Président légitime de l’Irak. Je ne veux pas discuter de cela, puisque vous choisissez de penser qu’il est dictateur. S’il l’était, ce n’était en tout cas pas le seul dans la région. Vous savez, dans les pays arabes, le roi, le prince, le Président, c’est un symbole. S’il devait être renversé, c’était par le peuple. Non par un pays étranger qui traverse les mers et vient détruire une civilisation millénaire, faisant fi des lois internationales.
Il était donc impératif pour moi de défendre ce symbole comme avocat, pour faire face aux Etats-Unis.
Mais si Saddam Hussein était resté au pouvoir, comment une démocratisation aurait-elle été possible ?
Bon, c’est vrai qu’il y a eu beaucoup d’erreurs du leadership irakien… Surtout après l’invasion du Koweït. Il aurait fallu faire naître le pluralisme pile à ce moment-là. Ce vœu avait alors été exaucé par le leadership. Mais les circonstances (embargo, puis frappes quasi quotidiennes, établissement de zones de non-vol au Nord et au Sud du pays, ndlr) ont fermé les possibilités d’un processus démocratique.
La guerre de 2003, la « croisade » comme l’avait dit à un moment le président Bush, a été une invasion illégitime. Ses rejetons sont des rejetons bâtards. Si vraiment l’Amérique et l’Occident voulaient rétablir la démocratie, il faudrait commencer par quitter le pays et en éloigner les agents de renseignements iraniens.
On est mal à l’aise à la lecture d’un livre qui « fait parler un mort » : cela empêche de complètement y croire…
Tout ce qui est dans ce livre est la parole de Saddam Hussein. Le titre arabe du livre est « Saddam Hussein, de la cellule américaine : voilà ce qui s’est passé ». Je ne suis que transmetteur de sa parole. Je ne peux trahir ni la déontologie de ma profession, ni la morale de l’homme. Je ne peux en aucun cas modifier un iota de ce que j’ai entendu de lui.
* Entre novembre 2004 et son exécution, le 30 décembre 2006, fut l’avocat de Saddam Hussein. Le seul non commis d’office et, à ce titre, le seul que la famille du président pendu.
"Saddam, les secrets d’une mise à mort" de Khalil Al-Doulaïmi – (Editions Sand, 282 pages, 14 €)