Entretien avec Xavier Moreau, directeur d’un cabinet de conseil en Russie, auteur de « La Nouvelle Grande Russie » et cofondateur du site internet d’analyse politico-stratégique www.stratpol.com.
En Ukraine, en Syrie comme en Iran, les ambitions de l’Occident et de la Russie sont opposées et rappellent le temps de la Guerre froide. Sommes-nous revenus à une division bipolaire du monde ?
Xavier Moreau : Nous sommes dans un monde multipolaire et c’est ce que refuse d’admettre Washington. Dans la mesure où il n’y a plus d’affrontement idéologique radical, il devient de plus en plus difficile pour les Etats-Unis de justifier son hégémonie belliqueuse.
Les États-Unis exploitent la crise ukrainienne pour tenter de redonner du sens à l’existence de l’OTAN, mais la réalité est que la majorité des pays européens se soumettent par peur des rétorsions. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter, l’extorsion des 9 milliards de dollars à la banque BNP Paribas, ou les menaces du sénateur John McCain au gouvernement bulgare sur le projet South Stream. C’est la pensée binaire du « avec nous ou contre nous ».
Cette agressivité est d’ailleurs révélatrice du déclin des Etats-Unis sur la scène internationale.
En termes de diplomatie, quels sont les principes de Vladimir Poutine et en quoi s’opposent-ils à ceux des Occidentaux ?
Les principes de Vladimir Poutine n’ont pas changé depuis quinze ans : respect de la souveraineté des États, respect des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU et respect du droit international.
Que ce soit sur l’Ossétie, l’Abkhazie ou la Crimée, les Russes ont pris soin de fournir un discours juridique qui, bien qu’il n’ait jamais été repris par les médias occidentaux, est tout à fait pertinent.
Quels sont aujourd’hui les alliés de la Russie sur la scène internationale ? Représentent-ils un front uni contre les visions occidentalistes ?
Toutes les nouvelles puissances, à commencer par la Chine, savent qu’elles peuvent se retrouver demain à la place de la Russie et dans ce sens, un front commun existe vraiment.
Les États-Unis sont considérés comme un État prédateur et imprévisible. C’est même de plus en plus le cas en Europe.
En revanche sur la réunification de la Crimée ou l’indépendance de l’Abkhazie ou de l’Ossétie, les alliés de la Russie, notamment la Chine, sont extrêmement prudents, craignant, avec raison, un effet boomerang. C’est exactement pour la même raison que l’Espagne ne reconnaît pas le Kosovo.
Dans les années à venir, doit-on s’attendre à un choc frontal entre deux mondes ?
Sans doute pas. Il faut davantage s’attendre à un repli des États-Unis, dont l’économie déclinante ne permet plus de financer son aventurisme militaire. À cela s’ajoute l’explosion prévisible de la bulle des hydrocarbures de schiste.
Tôt ou tard, Washington acceptera la multipolarité, car elle n’aura plus d’autre choix.
Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press.