Les Américains prendraient-ils exemple sur les millions de Français qui ont manifesté hier contre la réforme des retraites ? Dans un article repris par Eugène, du blog économique et social, l’éditorialiste Ezra Klein dévoile toute l’incohérence du rabotage des retraites, qui menace la sécurité sociale de son pays.
En lisant le Washington Post d’hier, j’ai constaté que le sujet des retraites fait également débat chez eux. Comme en Europe, les dirigeants ont unanimement choisi de raboter les retraites plutôt que de partager les immenses richesses que le pays a engrangées depuis 1935, date de l’inscription de la sécurité sociale (qui gère les retraites) dans la loi américaine. C’est étrange comment les puissants de ce monde s’entendent à merveille pour faire passer des idées en apparence logiques et qui, lorsque l’on regarde la situation globale du pays n’est plus tout aussi logique. Ainsi le « nous vivons plus longtemps, donc nous devons travailler plus longtemps » est une idée finalement fausse, bien que reprise unanimement par les dirigeants de tous les pays industrialisés !
Voici le texte original -rédigé par Ezra Klein- traduit par mes soins :
Il y a beaucoup de choses que le Congrès ne sait pas en ce moment. Que faire au sujet de l’emploi, par exemple. Comment faire pour équilibrer le budget. Mais il y a une chose sur laquelle les deux parties sont de plus en plus d’accord : vous devez travailler plus longtemps.
Le relèvement de l’âge de la retraite est devenu un consensus dans la politique américaine. Le leader de la minorité de la Chambre, John A. Boehner (Républicain - Ohio) le soutient. Steny H. Hoyer, House Majority Leader (Démocrate - Md.) a lui déclaré que « nous pourrions et devrions envisager une augmentation de l’âge de la retraite ». Et pendant un moment, je fus d’accord avec eux. Cela semble évident : les gens vivent plus longtemps aujourd’hui, et ils devraient travailler plus longtemps également. Mais en étudiant la question, j’ai décidé que j’avais tort. Alors, laissez-moi jouer le troublion de service. Nous devrions laisser de côté l’âge de la retraite. En fait, nous devrions laisser la sécurité sociale à part également - à moins que nous en fassions une institution plus généreuse et non pas moins généreuse.
La sécurité sociale assure une assurance d’invalidité et des prestations au conjoint survivant. Mais quand les gens en parlent, ils ont tendance à renvoyer son rôle à celui d’un programme qui fournit un complément de revenu aux retraités. La prestation mensuelle moyenne de 1 170 $ correspond environ à 39% du revenu avant retraite. Au cours des deux prochaines décennies, le « taux de remplacement » doit chuter à 31 %. C’est moins que dans la plupart des pays développés -l’Organisation pour la Coopération économique et du développement nous classe en 25ème position sur 30 nations membres-.
Le système, en d’autres termes, n’est pas si généreux, et il le devient de moins en moins chaque année. L’âge à partir duquel vous pouvez prétendre à une retraite complète est passé de 65 à 67 ans, dans le cadre d’un accord conclu dans les années 1980 pour assurer la solvabilité du système. Et tout cela à un moment où les employeurs se débarrassent des contrats de pension de leurs employés, ce qui signifie que la plupart des travailleurs n’auront pas de revenu de retraite garanti à l’exception de celui de la sécurité sociale.
Ce qui nous amène à la « crise » financière de la sécurité sociale. Le problème n’est pas que la sécurité sociale dépense trop ou que nous vivons trop longtemps. C’est que nous n’avons pas assez d’enfants (ou que nous ne laissons pas entrer assez d’immigrants). Comme l’a écrit Stephen C. Goss, responsable en chef du système, la sécurité sociale est en déséquilibre « car le taux de natalité est tombé de trois à deux enfants par femme ». Cela signifie qu’il y a relativement moins de jeunes qui paient pour les personnes âgées. « Il est important de noter » poursuit Goss, « que ce déficit sera pratiquement stable après 2035 ». En d’autres termes, nous ne devons régler le problème de la sécurité sociale qu’une seule fois.
La taille de ce correctif nécessaire est importante, mais pas étonnante. Au cours des 75 prochaines années, le déficit sera égal à environ 0,7 % du produit intérieur brut. Combien font 0,7 % du PIB ? Pour mettre cela en perspective, le Centre sur les priorités budgétaires et politiques (Center on Budget and Policy Priorities) a calculé que cela correspondait à peu près aux réductions d’impôts que George W. Bush a consenti pour les riches durant la même période. Dire que nous ne pouvons nous permettre ces réductions - qui est la position consensuelle des Républicains – mais pas le déficit de la sécurité sociale est un non-sens. 0,7 % du PIB n’est pas, en fait, une crise. C’est une question de priorités.
Cela ne signifie pas que le déficit de la sécurité sociale ne doit pas être mis sur la table quand on étudie la façon d’équilibrer le budget. Tout doit être mis sur la table. Et la sécurité sociale est notre unique système important - bien que Medicare devrait le dépasser dans les deux prochaines années. Mais si vous mettez vraiment tout sur la table - le système de soins et de santé, le code des impôts, les dépenses militaires, les subventions agricoles, etc. - alors le relèvement de l’âge de la retraite ou toute coupe du budget de la sécurité sociale cessent de paraître si « logiques ».
Commencez par la raison de base donnée pour justifier le relèvement de l’âge de la retraite. Comme le Républicain Paul D. Ryan (R-Wis.) a fait valoir, lorsque la sécurité sociale a été introduite dans la loi, l’âge de la retraite était de 65 ans et l’espérance de vie était de 63. « Les chiffres s’additionnaient assez bien à l’époque », a-t-il dit sur Fox News. Mais cela était trompeur. Ce chiffre était « tiré » par une forte mortalité infantile. Si vous étiez un homme de race blanche qui avait 60 ans en 1935, vous pouviez vous attendre à 15 années supplémentaires. Si vous êtes un homme de race blanche qui a 60 aujourd’hui, vous pouvez vous attendre à 20 années supplémentaires.
De plus, ces moyennes cachent de nombreuses inégalités. En 1972, un travailleur de 60 ans de sexe masculin qui gagnait moins que le revenu médian avait une espérance de vie de 78 ans. En 2001, il avait une espérance de vie de 80 ans. Pendant ce temps, celle des travailleurs situés dans la moitié supérieure de la répartition du revenu est passée de 79 à 85 ans. Dans la mesure où l’argument pour relever l’âge de la retraite est que « les bénéficiaires de la sécurité sociale vivent beaucoup plus longtemps aujourd’hui qu’en 1935 », il devrait être reformulé ainsi : « les bénéficiaires de la sécurité sociale ont tendance à vivre un peu plus longtemps aujourd’hui qu’en 1935, et c’est beaucoup plus vrai pour les bénéficiaires riches que pour les bénéficiaires pauvres ».
Et alors ? Tout ce débat se base sur une hypothèse incontestable : nous vivons plus longtemps, nous devons donc travailler plus longtemps. C’est assez intuitif pour les membres du Congrès, qui semblent aimer leur travail et ne semblent pas attirés par l’idée de prendre leur retraite. C’est également assez intuitif pour certains blogueurs-chroniqueurs, qui passent leur temps dans des pièces climatisées à discuter des programmes de retraite. Mais la plupart des gens ne travaillent pas au Congrès ou dans les médias. Leur travail est plus « physique ». Ils travaillent à la force de leurs bras. Ils s’ennuient fermement à la fin de la journée. Au moment où ils atteignent 60 ans, ils veulent prendre leur retraite.
Ceci se reflète dans la sécurité sociale. Âgé de 66 ans, vous obtenez un taux plein. Mais la plupart des gens commence à prendre leur retraite à 62 ans. Ils touchent moins, mais peuvent prendre leur retraite plus tôt. Pour eux, ce compromis en vaut la peine. Et n’oubliez pas, que le pays est beaucoup plus riche qu’il ne l’était en 1935. Compte-tenu de l’inflation, notre produit intérieur brut en 1935 était de 865 milliards de dollars. En 2009, il a été de plus de 12 milliards de dollars. Nous avons plus que nécessaire pour nous offrir un certain temps de loisirs vers la fin de notre vie. Du moins, si c’est une de nos priorités…
Les sondages indiquent que c’est le cas. Une enquête parue en août du Greenberg Quinlan Rosner Research a testé les réactions du panel à une variété de solutions concernant la sécurité sociale. Une des options était de relever l’âge de la retraite à 70 ans. Deux-tiers des interrogés s’y opposent. Une autre option était de supprimer le plafonnement des impôts sur les salaires afin que les travailleurs aisés paient un impôt sur le revenu sans plafond, tout comme les travailleurs à revenu intermédiaire le font maintenant. Un solide 61 % y étaient favorables.
C’est tout simplement l’inverse du débat qui a lieu à Washington, où les gens riches qui aiment leur emploi proposent une réduction des prestations pour les pauvres (car, après tout, c’est ce que signifie le relèvement de l’âge de la retraite) plutôt que de diminuer les bénéfices ou d’augmenter les taxe sur… leur propre revenus ! Cela ne veut pas dire non plus que nous devrions augmenter les impôts ou amputer les bénéfices des plus aisés.
Les options désagréables pour réformer la sécurité sociale sont un témoignage de son efficacité. C’est un programme simple de transfert de richesses, avec des frais administratifs qui s’élèvent à moins de 0,9 % des dépenses totales. Il n’y a pas beaucoup de gras à élaguer.
On ne peut pas en dire autant de beaucoup d’autres choses dans la politique publique américaine. Notre système de santé coûte deux fois plus que le système allemand et ne pas produire de meilleurs résultats. Notre secteur de la défense est une icône de gaspillage. Notre code fiscal pourrait recueillir plus d’argent et faire moins de dégâts à la croissance si nous le nettoyions. Le prix de nos maisons sont poussés à la hausse par la déduction fiscale des intérêts hypothécaires. Nos primes d’assurance maladie sont englouties par l’exclusion du revenu imposable de l’assurance parrainée par l’employeur.
Réformer l’un de ces secteurs (ou, dans le cas des soins de santé, le réformer encore plus) serait politiquement difficile, mais serait une meilleure politique. La réforme de la sécurité sociale sera politiquement difficile et il en résultera une politique sociale moins bonne. C’est ce qui est bien, lorsqu’on met tout mettre sur la table. Cela vous permet de penser plus clairement sur ce qui doit être raboté.