Les enseignants s’arrachent les cheveux face aux nouvelles directives. Même les formateurs et les inspecteurs semblent n’y rien comprendre.
C’était il y a quelques mois. Comme dans les 7 100 collèges de toute la France, Marie Lamfroy a suivi une des journées de formation destinées à expliquer aux professeurs la réforme du collège : chaque prof doit obligatoirement suivre huit journées de formation, dont trois réservées au numérique. Cette jeune mère d’un petit garçon de 2 ans, qui a toujours voulu enseigner, n’est pas une novice. Professeure de lettres modernes dans la banlieue de Lyon, à Feyzin, cela fait sept ans qu’elle applique les directives du ministère. Elle a toujours fait avec. La réforme du collège, elle n’y était pas opposée par principe. Mais après ces journées de formation, elle a compris que son métier ne serait plus comme avant… et qu’elle allait s’arracher les cheveux. Elle ne s’en est toujours pas remise.
Ce jour-là, pour présenter la réforme, trois inspecteurs, une chef d’établissement et un envoyé du rectorat étaient sur l’estrade. C’est ce dernier qui a pris la parole. Et a commencé par flatter l’auditoire avec cette phrase : « Vous êtes des ingénieurs, des bac + 5. » « Il a ensuite tenté de démontrer que cette réforme n’avait absolument pas pour but de faire des économies. Tout en nous expliquant que les mesures idéales ne pouvaient être prises, faute d’argent », se souvient Marie. Une des inspectrices a pris le relais : « Elle était extrêmement agressive, elle nous réprimandait dès qu’on posait des questions, en répondant à coups de virevoltes rhétoriques. » Jusqu’à l’absurde : « Ce n’est pas à nous de vous armer pour appliquer la réforme, nous ne sommes là que pour vous donner des clés ! »
« Gargantua, Emma Bovary... mangent-ils équilibré ? »
Le plus surprenant restait à venir, avec l’explication des EPI, ces enseignements pratiques interdisciplinaires destinés à croiser des cours qui n’ont a priori rien en commun. Et les formateurs de suggérer que deux enseignants, l’un de sciences de la vie et de la terre (SVT) et l’autre de lettres modernes par exemple, pourront l’an prochain se retrouver à travailler ensemble autour d’un sujet commun : « Gargantua, Emma Bovary… mangent-ils équilibré ? » (sic). À l’énoncé de cet exemple érigé en modèle, Marie et tous ses voisins ont été stupéfaits. L’une des inspectrices a poursuivi la présentation du Powerpoint : « Vous pourriez mettre en place un exercice de réécriture de menu mangé par Gargantua, façon bio… » À la lecture du document rétroprojeté, il apparaissait clairement que les deux enseignantes de français et de SVT qui avaient rédigé ce sujet n’avaient pas réussi à se mettre d’accord, puisqu’une autre problématique sur « les enjeux de l’alimentation » était également notée. Deux titres étaient même suggérés : « Je me nourris, tu te nourris, il se nourrit » ou « Faut-il manger végétarien à la cantine ou pas ? ».
Marie était consternée : « Je n’ai pas su comment réagir ; au-delà de la syntaxe douteuse, c’était tellement creux sur un plan littéraire… » Puis le débat a repris, le Powerpoint ne déterminant pas s’il fallait proposer cet EPI « SVT-français » en 4e ou en 3e. Marie a alors osé une question : « Comment trouver un lien entre les thèmes d’EPI et le programme des deux disciplines ? » Pour une fois, les intervenants du jour étaient d’accord : « Vous êtes censés prendre vos distances avec les programmes. Avec la réforme, vous n’êtes plus leur esclave ! »
« Vous n’avez qu’à changer de métier ! »
Dans la salle, certains étaient bouche bée, d’autres atterrés, la plupart n’écoutaient plus du tout. Quelques professeurs vociféraient. Les formateurs ont continué leur exposé, en parlant du cadre horaire : « Sur deux périodes de deux heures par semaine, dont certaines en co-animation… » Le chef d’établissement juché sur l’estrade a interrompu ses collègues : « Cette co-animation prendrait beaucoup trop d’heures sur la répartition globale, c’est inenvisageable ! » À la fin des trois jours de formation, Marie s’est étonnée de ne toujours pas avoir de précisions sur la mise en place de la réforme. Réponse de la formatrice : « Si cela ne vous plaît pas, vous n’avez qu’à changer de métier ! »
Didier Jodin, 50 ans, est prof de lettres classiques dans l’académie de Strasbourg. Il en a vu passer, des réformes. Mais il est aujourd’hui excédé. « Il y a un côté sectaire dans ces formations. On est tenu d’y croire, comme à une divinité. Ceux qui mordent à l’hameçon et y croient ont une rhétorique simple : il y a des choses qui ne marchent pas actuellement, donc la réforme est bonne. Quel sophisme ! »
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Et pendant que profs, parents et enfants préparent cette rentrée absurde, le ministre de l’Éducation nationale socialiste insiste sur un point fondamental :
On n’est pas sortis de l’auberge rose !