L’enfer est pavé de bonnes intentions. 24 heures après le Minsk-2, le Fonds monétaire international (FMI) s’est dit disposé à prêter 17,5 milliards de dollars à l’Ukraine. En attendant les injections financières, le pays fait couler le sang dans le Donbass. Et cela malgré les accords de paix et l’installation du cessez-le-feu.
Philippe Murer, conseiller économique de Marine Le Pen, a aimablement consenti à nous partager son opinion.
« L’Ukraine est un pays déchiré par la guerre civile. Ce pays est aussi à deux doigts du défaut de paiement avec sa note CC chez Fitch. Le risque évident de prêter de l’argent à une des deux parties engagées dans le conflit est de permettre la continuation artificielle de la guerre par l’injection de moyens financiers. Ceux-ci peuvent être utilisés pour l’action militaire et non pour améliorer le sort de la population.
Il y a des risques géopolitiques de natures différentes. Lorsqu’une guerre dure, il y a un risque que les pays voisins finissent par se mêler du conflit et que les armes engagées dans le conflit finissent par s’éparpiller partiellement dans les pays voisins. Enfin, la guerre civile peut engendrer l’ingouvernabilité du pays sur une durée plus ou moins longue. Certaines de ces caractéristiques semblent se retrouver dans la Libye d’aujourd’hui. La différence avec l’Ukraine est que la Libye est un pays beaucoup moins structuré et a plus de risques de devenir ingouvernable. En cela, il est nécessaire de trouver une solution de sortie de l’état de guerre civile acceptable pour les deux parties engagées dans le conflit. L’action récente de François Hollande, Angela Merkel et Vladimir Poutine est tout à fait louable. Sera-t-elle suffisante ? »
En 2010, l’Ukraine avait déjà fait face à une proposition séduisante de la part du FMI : une aide financière en échange de réformes structurelles. Kiev aurait dû limiter les prestations sociales, réformer le système des pensions en augmentant à 10 ans l’âge de départ à la retraite, porter au niveau européen le prix des hydrocarbures, etc. — ce qui aurait signifié de faire chuter le niveau de vie en Ukraine parce que les salaires étaient et restent toujours inférieurs à ceux de l’Europe. Si à l’époque, le président Victor Ianoukovitch a rejeté les conditions désavantageuses, aujourd’hui, Piotr Porochenko est prêt à tout pour se remplir les poches d’or. Ainsi, l’Ukraine fléchit davantage devant le FMI et, par conséquent, devant les États-Unis.
Il semble que Washington ne soit pas pour rien dans la prétendue générosité du FMI. Les États-Unis, à eux seuls, détiennent 28 milliards, soit 18,25 %, de DTS (droits de tirage spéciaux — des actifs monétaires échangeables contre des devises d’un pays tiers), et 265 000 voix (18 %) du total. À titre de comparaison : le quota américain est équivalent à l’ensemble des quotas de la Russie, de la Chine, du Royaume-Uni, de la France et de l’Arabie Saoudite. En d’autres termes, les 18 % des voix permettent aux États-Unis de promulguer des solutions qu’ils jugent nécessaires et, vice-versa, de bloquer toute initiative « douteuse », car il faut 85 % des voix pour qu’une décision soit validée.
En effet, les États-Unis ont déjà beaucoup investi en Ukraine. Après avoir financé le Maïdan (Barack Obama l’a reconnu officiellement), ils projettent de débloquer encore 117 millions de dollars à ce pays en pleine guerre civile. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau : chaque jour de guerre coûte de 5 à 7 millions de dollars (chiffres officialisées par Piotr Porochenko dans Die Welt). C’est-à-dire que les 117 millions de dollars ne paieront que de 17 à 20 jours de combat. C’est là qu’intervient le FMI-sauveur avec un prêt de 17,5 milliards de dollars. Sachant que la dernière aide financière (de 4,6 milliards de dollars) a servi à financer l’opération militaire dans le Donbass, nous nous demandons sur l’usage que Kiev fera du nouveau prêt.
« Nous ignorons par où sont passés les milliards du FMI, répond notre expert réputé. À partir du moment où il y a de l’argent injecté, il peut servir à payer des dépenses alimentaires et substituer à d’autres dépenses de l’État. Quoi qu’il en soit, il aurait été intéressant d’utiliser cette enveloppe comme un levier de paix auprès de Kiev. Il faut tout faire pour que le conflit s’apaise, pour trouver des solutions politiques. »
« Le pays en guerre s’appauvrit, c’est un mécanisme classique, dit Philippe Murer sur la disposition de l’Ukraine à rembourser sa dette. Généralement, les pays en guerre ont énormément de mal à rembourser leurs dettes, voire ne les remboursent pas, comme l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale ou après la Première Guerre mondiale, où le pays était obligé de recourir à l’hyperinflation. Cet argent est potentiellement donné à fond perdu. En effet, la poursuite de la guerre et des destructions empêchera l’économie ukrainienne de redémarrer et à la dette de devenir soutenable. Ce sont des mécanismes classiques en temps de guerre. La seule chance pour Kiev de pouvoir rembourser sa dette est dans un retour à la paix civile », conclut Philippe Murer.
Les tentatives à répétition de trouver de l’argent, de proposer d’autres mesures que celles évoquées dans l’accord de Minsk, remettent en question l’attachement de Kiev à un règlement politique du conflit dans le Sud-Est ukrainien. Cependant, il est grand temps d’arrêter d’agir sous la houlette américaine — « l’ami ukrainien d’outre-Atlantique » ne suit que ses propres intérêts.