Instrument de puissance par excellence depuis les débuts de la Guerre froide, l’arme nucléaire en France est historiquement issue de la volonté française de disposer d’un outil militaire puissant mais surtout indépendant vis-à-vis de ses partenaires, notamment des États-Unis.
Cette volonté d’indépendance politique forte, fondamentalement gaullienne, se concrétise à partir de la fin des années 1950 grâce à deux facteurs distincts [1] : 1) les limites de l’autonomie que comptait affirmer la France sur la scène internationale à l’époque, notamment après la crise de Suez et 2) les limites potentielles de l’engagement que les États-Unis étaient prêts à consentir en Europe en cas de guerre ouverte. Dès lors, la France fit le choix de développer un arsenal militaire tous azimuts, défensif mais totalement autonome.
Un déclin relatif de la place de la dissuasion dans notre outil de Défense
Pendant la Guerre Froide, la stratégie de dissuasion nucléaire française dite de suffisance se concrétise alors vers la constitution d’un double outil, à la fois stratégique mais aussi tactique :
Les forces nucléaires stratégiques intègrent une composante aéroportée (Forces Aériennes Stratégiques – FAS) depuis 1964, une composante aéronavale (Forces Aéronavale Nucléaire – FANu) depuis 1978, une composante terrestre (Groupement de Missiles Stratégiques du plateau d’Albion intégré dans les FAS) depuis 1971, et enfin une composante sous-marine (Force Océanique Stratégique – FOST) la même année. Les forces stratégiques se voient attribuer un rôle exclusivement anti-cité.
Les forces nucléaires tactiques se composent quant à elles d’un volet terrestre (Artillerie Nucléaire Tactique – ANT) et aéroporté (Forces Aériennes Tactiques – FATAC). Elles sont destinées quant à elles à la frappe d’objectifs militaires, comme des concentration de troupes ou des infrastructures de commandement.
La mise en œuvre de ces différentes composantes aéroportée, sous-marine et terrestre permettait à la France de disposer d’un parapluie nucléaire efficace, en capacité d’asséner une seconde frappe puissante à tout adversaire étatique susceptible de menacer dangereusement ses intérêts vitaux (volet politico-stratégique), mais aussi d’arrêter net une déferlante éventuelle de blindés soviétiques dans les plaines allemandes (volet militaire). Mais depuis la chute du Rideau de Fer, le niveau politique a pris la mesure du changement de contexte stratégique. S’il ne fut à aucun moment question d’abandonner notre parapluie nucléaire, considéré comme une véritable « assurance-vie de la Nation », celui-ci a été largement redimensionné pour s’adapter au nouveau paradigme stratégique en vigueur. Plusieurs décisions politiques sont prises à cette période : l’arrêt du programme Hadès, missile préstratégique censé remplacer le missile Pluton ; le redimensionnement du parc de SNLE à quatre unités avec la nouvelle classe Le Triomphant ou encore la dissolution des unités servant les missiles stratégiques du plateau d’Albion entre 1996 et 1998.
Les années 1990 voient donc un déclin net de la taille de l’arsenal nucléaire français : de 540 têtes nucléaires en 1991/1992 – un maximum historique soit dit en passant –, le nombre de têtes décline pour atteindre les 350 en 2006 et environ 290-300 à l’heure actuelle. En termes purement statistiques, il est intéressant de remarquer que la part de l’arsenal nucléaire français dans l’arsenal nucléaire mondial n’a eu de cesse d’augmenter, notamment depuis les années 1990 : de 0,1% lors de l’apogée de la Guerre froide en 1966, cette part a été multipliée par 10 en 1991 (1%) et atteint 1,9% en 2016. Malgré l’entrée de plusieurs nations dans le club nucléaire, cette tendance est en réalité la conséquence indirecte du succès des traités de désarmement conclus entre les États-Unis et l’Union Soviétique/la Russie depuis les années 1970-1980 (START I & II, New START).
La diminution quantitative du parc nucléaire français se concrétise aussi dans une baisse des crédits de paiements affectés à la dissuasion dans les années 1990, comme en témoigne la figure 3 ci-après. Logiquement, la part de la dissuasion au sein du budget de la Défense a connu une baisse quasi-constante : de 18,5% en 1990, elle est aujourd’hui de 11,6% environ [2]. Plus largement, comme le notaient les députés Geneviève Gosselin-Fleury et Philippe Vitel en 2013 [3], l’effort financier de l’État dans le nucléaire militaire n’a fait que diminuer depuis les années 1970. Si de 1961 à 1967 de larges investissements tous azimuts ont été consentis (augmentant respectivement de 0,2 à 1% du PIB), cet effort a pu être réduit de moitié en 1990 (0,47% du PIB) et atteignait à peine 0.15% du PIB en 2013.
Notons également que les crédits schématisés dans la figure 2 ci-dessous sont ceux officiellement et directement affectés au nucléaire militaire. L’effort financier réel est sans doute beaucoup plus important, le secteur nucléaire intégrant de nombreuses technologies et infrastructures duales. Michel Rocard parlait par exemple – à tort ou à raison - de 16 milliards d’euros réels par an. Si l’on compare les chiffres officiels, le Royaume-Uni dépense entre 2,3 et 2,5 milliards par an, soit environ 5-6% de son budget de la Défense. À titre d’exemple, signalons que les États-Unis dépensent entre quatorze et vingt fois plus que la France pour leurs forces nucléaires. En 2011, le budget américain en la matière s’élevait ainsi à près de 55 milliards d’euros dans le domaine.
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